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    Whit Stillman : « Il faut que le film soit le meilleur possible, qu’importent les moyens »

    Le cinéaste américain Whit Stillman était présent il y a quelques jours à Bruxelles, pour présenter Love and Friendship, une adaptation comique et enlevée d’un roman méconnu de Jane Austen. C’était l’occasion pour ce réalisateur rare et atypique de nous parler de son admiration pour l’auteur d’Orgueil et préjugés et Raison et sentiments, mais aussi du rythme de ses films et de sa conception de l’adaptation cinématographique.

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    Il y a eu beaucoup d’adaptations cinématographiques ou télévisuelles de Jane Austen, mais on a l’impression que ce sont toujours les mêmes œuvres qui y ont droit…

    Parmi les adaptations, je trouve que le Raison et sentiments d’Ang Lee est très bien. C’est une vraie traduction cinématographique et visuelle de l’univers romantique d’Austen. Il y a aussi une bonne version d’Orgueil et préjugés, avec Colin Firth et Jennifer Ehle. Parmi celles que j’ai vues, ces deux adaptations étaient les seules qui rendaient justice à Jane Austen. Et j’espère que notre film arrive à cerner l’essence comique et plus légère de son œuvre. Je pense que si quelqu’un a envie de se familiariser avec le travail de Jane Austen par l’intermédiaire du cinéma, ces trois adaptations seraient donc celles à voir. J’ai l’impression que beaucoup d’adaptations ont été faites par des gens qui ne s’intéressaient pas vraiment à Austen et qui ont adapté cet auteur comme ils auraient pu en adapter un autre, sans véritable envie.

    Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce roman plus méconnu, Lady Susan ?

    Je trouve que c’est un de ses meilleurs romans, avec les personnages les plus drôles. Mais c’est un roman très méconnu et j’avais envie de le populariser. Le livre est, en quelque sorte, inachevé. Il y a une conclusion, mais elle est très rapide et inadéquate. En tant que grand admirateur de Jane Austen, j’avais l’impression en l’adaptant que je donnais une vraie fin au roman et que je rendais publique une partie du travail d’Austen qui ne l’était pas encore. Et le fait qu’il n’y ait pas eu d’adaptation par le passé était vraiment très motivant.

    Comme vous le disiez, il y a une vraie essence comique dans l’écriture de Jane Austen, mais cet aspect est presque toujours absent des différentes adaptations…

    Oui, c’est vrai. Je pense que l’industrie cinématographique a toujours été guidée par une logique des genres. On a trop mis en avant cette idée de « genres » et j’ai l’impression que c’est plus une faiblesse qu’autre chose. Cette idée de caser Jane Austen dans la case d’une littérature pour femmes, donc dans celle de la comédie romantique ou du film de mariages, est vraiment très réductrice.

    Est-ce que vous avez voulu garder intact le type d’humour de l’œuvre originale, ou avez-vous accentué certaines choses ? Comment avez-vous équilibré ça, à l’écriture ?

    Il me semble que le film est composé aux deux tiers de l’humour et de l’histoire originale du roman et que le troisième tiers reprend des éléments qui étaient déjà là en filigranes mais que j’ai prolongés pour faire en sorte qu’ils soient essentiellement neufs. Les personnages de Sir James Martin, Charles Vernon, Lady Manwaring ou encore Mr. Johnson sont des créations comiques qui viennent de moi, pour compléter, en quelque sorte, le travail de Jane Austen.

    Le terme « adaptation » est ambigu. Comment abordez-vous ce travail ? Pensez-vous que c’est à vous à vous adapter au roman original, ou au roman à s’adapter à votre univers et votre cinéma ?

    Même si je n’ai pas vraiment appliqué cette règle dans ce cas-ci, j’ai toujours été inspiré par une histoire racontée par Alexander Payne, qui avait suivi un cours d’adaptation à l’Université de Californie du Sud (USC). Le professeur avait demandé à la classe ce que l’adaptateur devait à l’original, et la réponse était : « absolument rien ». Il faut faire en sorte que le film soit le meilleur possible, qu’importe la manière, les moyens. Le mieux est de prendre juste deux ou trois petites choses de l’original, comme le titre et quelques idées, puis de jeter tout le reste et de réécrire. Mais dans ce cas-ci, j’avais affaire à une espèce de mine d’or perdue. J’étais en admiration devant ce roman et je voulais le transposer à l’écran de la meilleure manière possible, en lui restant fidèle.

    Il s’agit d’un roman épistolaire. Comment traduire cet aspect à l’écran ? Il y a par exemple, dans le film, une scène dans laquelle la réception d’une lettre est plus au centre de l’action que le contenu de celle-ci…

    Ça a vraiment été un combat de s’éloigner des lettres. Dès qu’il y en avait une dans le film, j’étais mal à l’aise parce que je ne voulais vraiment pas qu’il y ait de lectures de lettres à l’écran. Finalement, il y a quand même trois moments dans le film où les lettres sont au centre de l’action.

    Il y a aussi deux moments où le texte des lettres apparaît à l’écran, au début et à la fin…

    Oui, cette idée vient d’une conversation que l’on a eu concernant le poème qui est lu à la fin, dans le lequel il y a le mot « mien » (qui vient de « mine », en français). C’est un mot qui n’est plus du tout utilisé en anglais et je me suis dit que le public n’allait pas comprendre ce que cela voulait dire. Donc la solution était d’afficher le poème entier à l’écran. Et en regard de ça, on a aussi décidé de mettre le texte de la première lettre à l’écran, au début, ce qui permet également au public de se rendre compte qu’il n’est pas dans une adaptation conventionnelle de Jane Austen.

    Bien sûr, le rythme est très important dans le film. Dès le générique d’ouverture, les noms des acteurs et des membres de l’équipe apparaissent au rythme de la musique. Était-ce une manière d’accréditer l’importance du rythme dans le film ?

    On travaille toujours très dur sur nos génériques d’ouverture pour faire en sorte que les noms apparaissent en rythme sur la musique. C’est un peu une obsession, j’aime beaucoup ça esthétiquement. Dans ce cas-ci, ça convenait merveilleusement à cette musique à la harpe. Et puis il y a aussi ce problème de tous les fonds d’aide à la production qui ont chacun leur nom et leur logo. J’ai toujours trouvé ça complaisant et injuste vis-à-vis du public qui doit attendre qu’ils passent tous l’un après l’autre à l’écran, avant que le film ne commence vraiment. Ici, on a décidé de les mettre tous en une seule fois. C’est très rapide et en rythme sur la musique, je trouvais ça beaucoup plus drôle.

    Le film est très dialogué mais la plupart des scènes de dialogues sont représentées dans le mouvement. Les personnages sont rarement au repos quand ils parlent. Était-ce également une manière d’apporter du rythme dans le film ?

    Oui, dès qu’il y avait la possibilité d’apporter de la rapidité et du mouvement dans le film, nous l’avons fait. Et à l’arrivée, il s’agit probablement du plus rapide de mes films.

    Pensez-vous que le fait que vous soyez américain donne une originalité, une dimension nouvelle au regard que vous portez sur Jane Austen et sur la culture anglaise en général ?

    Il y a une tradition de cinéastes étrangers qui ont fait des adaptations de la littérature anglaise. J’ai l’impression que nous sommes plus intéressés par elle que les britanniques eux-mêmes. Par exemple, Ang Lee a fait Raison et sentiments, et James Ivory a fait de très belles adaptations des romans d’E.M. Forster. Et j’ai l’impression que certains américains vivent dans un monde plus proche de Jane Austen que beaucoup d’anglais. L’état d’esprit de la Nouvelle Angleterre, par exemple, me semble plus proche de la perspective de Jane Austen que celui de la plupart des Anglais. Jane Austen est née en 1775, et à ce moment-là, nous étions toujours britanniques. Et il me semble vraiment que les Etats-Unis ont continué une certaine tradition « austenienne », alors que l’Angleterre a évolué dans une direction plus excentrique.

    Dans le film, le personnage joué par Chloë Sevigny a une place particulière. Elle est extérieure à l’histoire, dont elle est le témoin, mais elle intervient également dans celle-ci, de manière ponctuelle. Et il s’agit du seul personnage américain. Est-elle un peu votre double dans le film ?

    Oui. En tout cas, sa situation représente un peu celle dans laquelle je me trouvais lorsque j’essayais de faire un film à Londres. Ils voulaient à tout prix me renvoyer chez moi. C’était très dur…. Enfin, je ne sais pas si c’était dur mais, ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas réussi à faire ce que je voulais. J’ai essayé pendant douze ans de faire des films là-bas, en vain. Vous êtes le premier à deviner que ce personnage est le produit de mon expérience à Londres, mais c’est vrai.

    Le personnage de Charles Vernon est aussi très intéressant car il semble chaque fois relancer le dialogue et l’action en proposant différents choix possibles, différentes manières de penser…

    Oui, c’est un personnage que j’aime beaucoup et je suis content que vous l’ayez remarqué. Je me reconnais aussi beaucoup en lui et c’est vrai qu’il était une manière pour moi de remettre chaque fois l’intrigue à plat et de montrer quelles alternatives s’offraient aux personnages. L’acteur qui joue le rôle (Justin Edwards) est formidable et il a tout de suite compris ce que je projetais dans son personnage.

    Vous avez réalisé un pilote pour une série produite par Amazon, The Cosmopolitans. Allez-vous réaliser une saison entière ?

    Oui, je vais faire six épisodes, mais j’ai envie de changer un peu l’histoire, donc je pense que ça va partir dans une autre direction. Normalement, on va garder le pilote original en tant que premier épisode, mais la suite sera très différente.

    Propos recueillis par Thibaut Grégoire

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