Une mini série Netflix, When They See Us, a inspiré le titre de cette nouvelle exposition à Bozar, inversant l’orientation de la tournure et surtout du regard. Car c’est bien au niveau du regard que toute l’ambiguïté de l’imaginaire collectif relatif à la black culture se situe. De Cap Town à Bruxelles, la commissaire Koyo Kouoh et la co-commissaire Tandazani Dhlakama ainsi que les nombreux artistes narrent un récit aux lignes graphiques aussi subtiles que joyeuses. Ensemble, ils se font porte-parole du peuple.
Découpée en six chapitres – Le quotidien, Repos, Triomphe & émancipation, Sensualité, Spiritualité et Joie & allégresse – le parcours scénographique nous invite à observer différentes facettes de la diaspora noire, d’un état à l’autre, elle se nuance. Pas de pessimisme ou de rancœur, le parti-pris est celui de la couleur, et de la danse, il est illustré par une vaste sélection d’œuvres.
JOY : no wahala
De pièce en pièce, le rapport de domination de l’occident et les crises économiques et sociales sont éclipsés pour mettre la joie à l’honneur. Koyo Kouoh l’explique elle-même, elle avait d’abord du mal avec le concept de black joy qui peut révéler une certaine hypocrisie. Cela serait comme diluer les années d’oppression dans une belle euphorie musicale et pittoresque. Pourtant, se distancier de certains aspects négatifs ou oppressifs de la représentation de la culture africaine en la réinventant principalement par le biais du médium artistique est finalement apparu comme un projet cohérent, voire urgent. Il ne s’agit plus de souligner la peinture victimaire alors que la réalité sociale est bien plus complexe. La culture de la fête cosmopolite est exaltée avec des artistes tels que Cheri Samba – l’un des peintre les plus connus de sa génération, avec Live dans les sous-sols du Rex, ou Esiri Esheriene et sa peinture de birthday party dont la production plastique est clairement engagé. Les protagonistes que nous rencontrons tracent les contours d’une communauté qui alterne entre prélassement transe.
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Dialogues esthétiques
La connexion entre ces œuvres permet de rentrer physiquement en contact avec les atmosphères des peintures qui se matérialisent dans l’espace, la notion de dialogue devient centrale. Les expériences fragmentées de différents aspects de la vie de tous les jours s’unissent pour dialoguer sur des toiles qui usent tout autant de couleurs, de formes et de juxtapositions pour figurer un état d’esprit. Le motif wax se répète, mais ne se reproduit pas de manière identique. Certaines œuvres présentent des éléments et des symboles qui renvoient à d’autres, en créant un récit à la fois commun et discontinu.
Zandile Tshabalala est une artiste visuelle de Soweto, ses portraits de femmes en petite tenue léopard jouent avec les clichés de la femme dite sauvage. Tunji Adeniyi peint des silhouettes que l’on pourrait qualifier de matissiennes. Sur de grands formats, elle fait danser des arabesques de couleurs pures et plates dans une ronde endiablée. Étendue sur un sofa, le modèle de Wongari Wathenge nous adresse une œillade lascive, la chair voluptueuse est détaillée et réinvente l’érotisme du portrait féminin façon Olympia de Manet. Les corps s’étendent, ils posent, non pas dans l’attente de quelque chose, plutôt en valorisant la force tranquille de la volupté. Il n’est pas question de dénoncer le fantasme collectif de la femme racisée, plutôt d’illustrer un rapport à la sexualité assumé.
À côté de ces oeuvres, la palette sombres de Singa Samson dessinent des fantômes sur fond noir, les pupilles sont absentes et les formes évitent toutes les fioritures des parûres colorés ou de la luxuriance végétale. Il fait appel à notre sens occulte et ses figures spectrales se transforment imperceptiblement en quête intérieure. En rapprochant ces différents artistes, l’imaginaire plastique permet de décloisonner les catégories comme la sensualité et la spiritualité ou le repos et la rumba.
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Déconstruire le regard
Cette véritable exploration de l’histoire de l’art bouscule les stéréotypes. Les plumes aux accents piquants jouent avec le regard du public grâce à une mise en scène inédite et des connexions inédites. Les outils et les marqueurs culturels sont transcendés : ces peintures dépassent radicalement les attentes occidentales envers la vie africaine, pas de sublimation, pas de complainte lyrique, mais des volutes de fumée apaisante. À l’ombre d’un arbre du Blue Park Lovers de Dominic Chambers ou sur le lit rose fushia de Tiffany Alfonseca des amants reposent, extrayant toute la poésie picturale de la symbiose entre deux êtres. Ainsi, cette langueur onirique qui s’immisce dans chaque pan du quotidien amorce les prémices de la paix de l’esprit et d’une possible réconciliation.
Cette communion d’univers artistiques nous invite à conscientiser le pouvoir des images et le filtre esthétique que nous posons sur les cultures étrangères. La kyrielle d’images accompagnée de textes de salle célèbre l’art de la flânerie mélodieuse. Black joy isn’t about erasing the difficulties of the Black experience est-il nécessaire d’exprimer.
- Ou? Bozar, 23 rue Ravenstein 1000 Bruxelles
- Quand? Du 07 février au 10 août 2025 et du mardi au dimanche de 10h à 18h
- Combien? 18 €, différents tarifs réduits possible