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    Voyez-vous, ma femme connait le réalisateur d’E.T…. Quand Spielberg réalisait un épisode de Columbo !

    Nous fêtons cette année l’anniversaire de l’un des plus célèbres détectives de l’histoire de la télévision. Il y a tout juste cinquante ans démarraient les aventures de l’inspecteur Columbo ! Mais saviez-vous que le premier épisode de cette cultissime série fut réalisé par Steven Spielberg lui-même !? En effet, suite à deux pilotes – réalisés par Richard Irving – diffusés en 1968 et 1971, une série complète fut commandée par la chaîne NBC, et le premier épisode de la première saison des aventures du célèbre inspecteur fut réalisé par un désormais célèbre réalisateur, à l’époque relativement inconnu, nommé Steven Spielberg.

    Au fil du temps, plusieurs réalisateurs se succédèrent afin de donner corps aux aventures de l’inspecteur Columbo. John Cassavetes, Patrick McGoohan (le même que celui qui incarna Le Prisonnier entre 1967 et 1968), Peter Falk lui-même et, à peu de choses près, Brian de Palma (le réalisateur manqua de peu de réaliser un épisode en 1973) gratifièrent le plus célèbre des inspecteurs de leurs talents ! Mais le plus surprenant d’entre eux était alors un jeune cinéaste âgé de vingt-quatre ans, destiné à révolutionner le cinéma…

    À l’époque, le jeune Steven s’était déjà illustré en réalisant son court métrage Amblin, ainsi qu’un épisode pour la série The Psychiatrist dont le producteur Dean Hargrove déclara qu’il « avait une esthétique bien particulière, alors qu’il ne s’agissait que d’une série médicale. Il y avait quelque chose dans la mise en scène qui était particulièrement reconnaissable, les idées qu’il y avait amené, la direction d’acteurs. Il avait une façon très intéressante de bouger la caméra et de faire bouger les comédiens ». Ce succès permit à Sidney Scheinberg – qui à l’époque, exerçait plus ou moins le rôle d’agent pour Spielberg – d’aller trouver les producteurs Richard Levinson et William Link, co-créateurs de Columbo, dont le tournage de la première saison allait débuter. Nous étions à l’été 1971.

    William Link déclara des années plus tard : « Il fallait être impressionné par son travail, et ce devait être notre décision. Nous étions dans la première année de Columbo et recherchions non seulement des réalisateurs chevronnés, mais également du sang neuf capable d’apporter de la fraîcheur à la série ». Bien entendu, les producteurs étaient naturellement réticents à l’idée d’engager un jeune directeur finalement peu expérimenté. Link explique encore : « La télévision est la mine de sel du divertissement. Il n’y a jamais assez d’argent, assez de temps. Ce n’était pas une tâche aisée pour Steven d’obtenir du boulot à la télévision, car il n’avait aucune réputation ». Une projection privée d’Amblin fut donc organisée afin de convaincre Levinson et Link, sans succès. Mais Sid Scheinberg risqua la projection de Par of the Course, le segment réalisé peu de temps avant par Spielberg pour la série The Psychiatrist. Cette projection convainc les deux producteurs « que le gamin avait quelque chose ».

    Levinson et Link invitèrent donc Steven Spielberg à déjeuner afin de lui offrir de réaliser un épisode de Columbo. Celui-ci répondit : « ‘Ok’. C’était aussi simple que ça », se rappelle Levinson. Restait à convaincre Peter Falk ! À l’époque, Spielberg avait la réputation d’être un réalisateur technique, capable de gérer les caméras mais pas les acteurs. Il fallait convaincre Frank Columbo lui-même du contraire. Peter Falk avait l’habitude de travailler avec des réalisateurs expérimentés et, de ce point de vue, le jeune Spielberg était un élément imprévisible. Il fallut deux mois pour le séduire. Ici encore, une projection de Par of the Course impressionna Falk.

    Cela en dit long sur le potentiel du jeune réalisateur, car Falk avait déjà rejeté bon nombre de metteurs en scène par le passé. Et, comme le racontait Richard Levinson : « Ce n’était pas le légendaire Steven Spielberg. C’était juste un gamin sympathique. On le taquinait à longueur de temps en disant qu’il venait sur le plateau durant les pauses, pour prendre le lait et les cookies avec le réalisateur ».

    Mais un obstacle de plus restait à franchir ! Le directeur de la photographie engagé pour cet épisode n’était autre que Russell L. Metty, un homme expérimenté ayant travaillé sur le Spartacus de Kubrick et quatre films d’Orson Welles. Nous avions donc un directeur de la photographie âgé d’une soixantaine d’années et disposant d’un curriculum à rallonge devant travailler sous la direction d’un gamin quasi-inexpérimenté de vingt-quatre ans : « C’est un gamin ! Est-ce qu’on lui donne du lait et des cookies durant les pauses ? Est-ce que le camion de couches culottes viendra interférer avec mon générateur ? », dit-il. Celui-ci alla également se plaindre aux producteurs : « Votre jeune prodige m’a créé un plateau sur Sunset Boulevard avec quatre murs de verre. Où voulez-vous que j’aille foutre mes lumières ? » Metty se laissa finalement convaincre par une boîte d’excellents cigares et accepta de se plier à la vision de Steven Spielberg. Cependant, ce dernier appela les producteurs à plusieurs reprises afin qu’ils viennent sur le plateau : ils comprirent vite qu’étant le plus jeune membre de l’équipe, il n’avait personne à qui parler. Ce tournage fut donc éprouvant pour Spielberg mais était pourtant de nature à changer le cours de sa carrière !

    Les problèmes ne s’arrêtèrent cependant pas là. Le premier jour de tournage, un membre du casting s’est présenté complètement alcoolisé. Steven Spielberg se trouva dévasté : les espoirs qu’il avait placés en cet épisode et le travail réalisé en amont risquaient de se voir anéantis par le manque de professionnalisme d’un comédien. Il lui fallut donc réenvisager son approche et modifier son Master Shot – Plan qui couvre toute la séquence – pour multiplier les angles de caméra. Aussi déçu qu’ait pu être le réalisateur, sa capacité à rebondir impressionna la production. Plus tard dans sa carrière, Spielberg privilégiera au maximum des acteurs de genre plutôt que des superstars pour donner corps à ses histoires, ayant à l’époque déjà compris que « la vie est trop courte pour s’inquiéter de la taille de la caravane de quelqu’un ».

    Sept épisodes de Columbo furent filmés à l’été 1971. Celui de Spielberg était le second à être mis en boîte. Cependant, la qualité du travail était telle que les producteurs sélectionnèrent celui-ci pour inaugurer la première saison le 15 septembre de cette même année. « Murder by the book » reste à ce jour l’épisode préféré des producteurs, ainsi que l’une des réalisations pour la télévision dont Spielberg est le plus fier : « Travailler sur Columbo était chouette, parce que ça a été une expérience consistant à aider – mais principalement à regarder – Peter Falk imaginer cet incroyable personnage… Peter trouvait encore des trucs. J’ai eu la chance de découvrir des ‘Columboismes’ avec Peter qu’il conserva plus tard dans son répertoire ». Notons cependant que le producteur William Link infirma ces dires, affirmant que Columbo était déjà entièrement créé à l’époque où Spielberg entra en jeu.

    Quoi qu’il en soit, Peter Falk lui-même se confiera des années plus tard sur le sujet, exprimant la joie qu’il avait eu de travailler avec Spielberg : « Notre premier épisode, en 1971, avait été réalisé par ce jeune garçon nommé Steven Spielberg. J’ai dit au producteurs, Link et Levinson, que ce type était trop bon pour Columbo. Laissez-moi vous dire ce que j’ai le plus apprécié concernant Steven. Je tourne une scène au cours de laquelle je marche dans la rue en discutant avec un homme, et soudain je réalise : je ne vois aucune caméra alentour. Steven me filmait avec un objectif longue portée depuis l’autre côté de la rue. Ce n’était pas chose commune il y a vingt ans. Ça m’a donné un confort extraordinaire – en plus d’être drôlement réussi sur un plan artistique. Ça prouve que nous n’avions pas affaire à n’importe quel réalisateur ! »

    Steven Spielberg donnera en effet naissance à un épisode d’une rare richesse télévisuelle. « Je voulais que l’épisode ressemble à un film d’un million de dollars » dira-t-il des années plus tard. « Murder by the book » (« Le livre témoin » en français) s’ouvre ainsi sur une vue de la Mercedes du tueur descendant Sunset Boulevard, avant que la caméra ne dézoome pour laisser entendre que l’angle de vue est pris depuis le bureau de James Ferris, la future victime. Un travelling arrière dévoile alors celui-ci en train de taper à la machine. Plusieurs plans fixes se succèdent ensuite, laissant apparaître une page du roman ainsi que quelques éléments de décor servant à établir la relation entre James et son partenaire Ken Franklin, le meurtrier en devenir. Le tout rythmé par le son de la machine à écrire. Un bruit à la porte vient ensuite interrompre la quiétude des lieux et l’auteur se lève pour aller ouvrir, trouvant face à lui le canon d’un revolver.

    En quelques plans bien établis, et sans une seule ligne de dialogue, Spielberg installe son intrigue et crée un suspense auquel le spectateur lui-même participe. L’explicite fait place au suggestif, le tout porté par la sonorité diégétique de la machine à écrire. Steven Spielberg ira jusqu’à proposer au compositeur Billy Goldenberg ce leitmotiv musical et ce dernier synthétisera le son pour l’intégrer à sa partition.

    Cette richesse sonore et visuelle installera la volonté pour Columbo de se démarquer des autres séries de l’époque en proposant quelque chose de moins classique, quelque chose de raffiné. Ajoutons à cela que « Murder by the book », comme les deux pilotes l’ayant précédé, fut le plus souvent tourné en extérieurs, et non en studio. Notons encore que Steven Spielberg recourra sans hésiter à de nombreux plans larges, alors peu utilisés à la télévision en raison de la taille des écrans.

    Mais l’une des forces de l’épisode est également de s’appuyer sur les préconceptions du spectateur pour les déconstruire instantanément. Lors de l’apparition de l’arme dans le champ, celui-ci s’attendra à entendre une détonation. Anticipation qui sera désamorcée par le contre-champ au moyen d’un gros plan sur le visage de la victime qui se mettra alors à rire. Un plan large établira ensuite la complicité des deux personnages, désamorçant la tension créée jusque-là. Plus tard encore, Ken déposera son briquet sur le bureau de sa victime, laissant entendre que cet oubli serait l’élément qui permettrait à Columbo de l’incriminer. Il reviendra cependant le rechercher avant même de commettre son crime, anéantissant le seul indice susceptible d’aider l’inspecteur à résoudre son enquête. Quant à la résolution elle-même, elle sera le fruit d’un infime détail totalement inattendu : la capacité du spectateur à anticiper quoi que ce soit sera ainsi constamment entravée.

    Du point de vue de l’exposition des meurtres maintenant, ici encore, Spielberg soufflera un vent nouveau dans la façon de réaliser de l’époque. À défaut de montrer le meurtre, il en filmera toute la mise en place avant de retirer au spectateur la satisfaction morbide d’assister à celui-ci. L’alibi du meurtrier consistant à assassiner son collègue alors que celui-ci est en pleine conversation téléphonique avec son épouse, c’est le visage de celle-ci qui sera choisi pour indiquer l’horreur. Au moment où retentira le coup de feu, James Ferris retombera dans l’anonymat, n’étant au fond qu’un prétexte à l’entrée en scène du lieutenant Columbo. C’est l’effroi de son épouse qui sera présenté au spectateur par le biais d’un Reaction Shot au moment même de la détonation. Un procédé similaire sera encore utilisé lors du second meurtre : alors que Ken s’approchera de sa victime, Lilly La Sanka, un gros plan du visage de celle-ci sera réalisé sans qu’un seul son ne s’échappe de sa bouche. L’utilisation de ce type de plans rappelle alors quelque peu le cinéma expressionniste allemand. On pensera également à des films tels que Blackmail d’Alfred Hitchcock pour l’absence de cris lors du meurtre.

    William Link déclarera plus tard, au sujet de cette scène : « Généralement, le producteur ou le producteur associé participe au mixage des images.  Les réalisateurs passent à autre chose. Pas Spielberg. Spielberg était là. Le cliché dans ce genre de situations consiste à recourir à un cri retentissant lors du meurtre. Spielberg et moi-même avons décidé de supprimer ce cri et d’insérer un fondu au noir. Mon partenaire détestait. Jusqu’au jour de sa mort, Dick [Richard Levinson] a détesté ce procédé. C’était très abstrait ».

    Quoi qu’il en soit, en réalisant ce premier épisode, Spielberg participa à établir certaines bases et certains des leitmotivs qui seront par la suite utilisés dans la série durant quarante ans. Par la même occasion, il se créa une solide réputation qui fut renforcée la même année par la sortie de son chef d’œuvre Duel, et quatre ans plus tard des Dents de la mer. Quant à Columbo, arrivés à la troisième saison, les scénaristes se permirent quelques clins d’œil, notamment en intégrant un personnage à l’épisode 6 – intitulé « Mind Over Mayhem » – nommé Steve Spelberg et qualifié de « petit génie » …

     

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