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    « Virtuoso », une étrange vallée

    Titre : Virtuoso
    Autrice : Yelena Moskovich
    Editions : Viviane Hamy
    Date de parution : 6 avril 2022
    Genre : Roman

    « J’ai passé une grande partie de mon enfance à attendre d’être agressée, comme on attend de devenir femme. Mais j’ai eu beau essayé de me rendre molestable, ça n’est jamais arrivé. »

    Au Portugal, le corps d’une femme est découvert, seul et sans vie, par son épouse. Jana, interprète tchèque pour un célèbre fabricant de lits d’hôpitaux à Paris, se remémore son enfance à Prague, sous l’occupation soviétique, enfance rythmée principalement par les injonctions à se taire, à ne pas se faire enlever et à ne pas se faire agresser. Deux femmes entretenant une relation amoureuse en ligne préparent un plan pour que la seconde échappe à son mari qui la séquestre. Un énigmatique sac de citrons traverse les époques et les frontières…

    Il est difficile de résumer le second roman de Yelena Moskovich, tant son texte s’expérience plus qu’il ne se lit. L’autrice dira à son propos « C’est un espace que j’aimerais proposer, un espace que j’ai créé à l’extérieur de moi, entre deux couvertures et qui, je l’espère, peut aussi être une sorte d’abri pour un espace à l’intérieur du lecteur. Ce livre traite de la différence, de la diaspora, de l’intimité entre les femmes, de la colère, de l’érotisme, de la mort et de la renaissance symbolique et littérale.* »

    Résolument non-linéaire et chorale, son récit entremêle les errances de plusieurs héroïnes, leurs histoires d’amour et d’amitié, leurs déceptions et leur tentatives de se construire et de trouver leur place dans l’étrange monde qui les entoure.

    Pour deux d’entre elles, leur vision des possibles, passablement pessimiste, a été considérablement modelée par leur éducation en Tchéquie, alors que le communisme déclinait lentement sous leurs yeux, attisant les colères sourdes sans atténuer les méfiances constantes. Ainsi le personnage de Zorka considère longtemps que l’amour est avant tout une performance visant à convaincre le voisinage de sa qualité d’honnêtes gens.

    Loin du bloc soviétique, une autre jeune femme tente de se fondre dans des relations passionnelles pour échapper à la solitude, tandis que sa moitiée tente tant bien que mal de remonter la pente après une chute de carrière aussi fulgurante qu’a été son ascension.

    Parcourant des thèmes aussi variés que l’exil, la perte, le désir, l’affirmation de soi, les liens qui s’affinent et ressurgissent, les vides persistants et ceux qui se créent au fil du temps, le récit évoque avec finesse les enchevêtrements entre l’intime et le politique, les expériences personnelles et les cicatrices communes.

    Certains passages sont notamment emblématiques des stéréotypes latents qui poursuivent les populations de l’ancien bloc soviétique. Lorsque Zorka, une fois installée au Etats-Unis, se fait réprimander pour avoir fracturé la main d’un de ses camarades, le principal de son lycée insiste sur le fait qu’elle ne peut pas « se comporter comme on le fait… en République Tchèque », estimant la violence de la jeune fille comme caractéristique de son pays d’origine. Qu’elle ait par ailleurs une mère maltraitante et en proie à des soucis mentaux ne semble intéresser personne, dans un pays comme dans l’autre. Sur le sol tchèque, Zorka était tout simplement considérée comme « cinglée ».

    Si une touche de surréalisme fait irruption ici et là, cela reste suffisamment rare pour que chacune de ces incursions nous déstabilise. Le profond se mêle au banal, les silences s’épaississent, le temps s’étire pour mieux accélérer subitement. Au-delà du rythme des mots et de la mise en page des fragments de texte qui permettent les respirations, le tout est imprégné d’un humour grinçant et sombre qui rend la lecture particulièrement réjouissante.

    Avec une écriture incisive et poisseuse, Moskovich nous plonge dans son histoire, une histoire de déracinement, de brouillard et de collisions, jouant habilement entre naturalisme minutieux et onirisme décalé.

    En résulte un roman viscéral qui exhale des images, des textures et des ambiances dont la lumière ténue et les parfums doux-amers semblent nous parvenir à travers les pages.

    On y trouve aussi des anus qui servent de portail spatio-temporels à des enfants de la rue et des répliques savoureuses du type : « Quand tu m’appelles ta mère, ça me donne envie de mourir. »

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