Victoria
de Sebastian Schipper
Thriller, Drame
Avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski
Sorti le 1er juillet 2015
Envie de (re)vivre une nuit berlinoise à peu de frais ? Alors courez en salle voir Victoria, le nouveau film de Sebastian Schipper. Loin des décors de cartes postales à la Woody Allen, il vous entrainera non seulement, en milieu urbain, dans une virée crépusculaire bien singulière mais vous fera aussi vivre une expérience cinématographique grisante.
Tout commence sur une piste de danse avec une lumière aveuglante, stroboscopique. On fait peu à peu la connaissance de Victoria, jeune Madrilène qui se déchaîne au son d’une musique électro. Il y a quelque chose en elle d’exalté, de furieusement vivant qui nous attire et nous entraine dans son sillage. Ça tombe plutôt bien car c’est l’héroïne et elle sera de tous les plans, de tous les instants. En sortant de la boîte de nuit, elle fait la connaissance de quatre gars un peu relous qui se voient refuser l’entrée de la discothèque. Ils s’appellent Sonne, Boxer, Blinker et Fuẞ. Ils sont légèrement éméchés. Pas vraiment déroutée par ces hommes qui la draguent et l’invitent dans des lieux incertains, Victoria va se fondre petit à petit dans ce groupe d’amis. Ces garçons respirent la fusion et la totale éclate, ils carburent à la bière et aux petits délits. La ville est à eux ; ils la considèrent comme un formidable terrain de jeu. Victoria, de son côté, débarquée à Berlin depuis trois mois, se sent très seule. La vie de ce groupe de potes menée tous les curseurs d’intensité relevés l’attire comme un aimant. La caméra virevolte, donne le vertige parfois. Victoria est enivrée par la complicité de la bande mais on la sent constamment sur fil. Le danger rôde partout. Pourtant, il n’arrivera jamais vraiment où on l’attend même si la soirée promet de déraper.
Grand Prix au Festival International du Film policier de Beaune et Ours d’argent de la meilleure contribution artistique au Festival de Berlin, le dernier long-métrage de Sebastian Schipper fait sensation depuis quelques mois avec son fameux plan-séquence (en une seule prise, aucune coupe, aucun effet spécial) de plus de deux heures dix dont le réalisateur allemand n’est pas peu fier. Véritable prouesse technique, avec sa mise en scène immersive et ses dialogues improvisés – dans un anglais approximatif mâtiné d’un dialecte allemand – le film nous donne une impression troublante de réel.
Les discussions tournent parfois un peu à vide comme dans la vraie vie. Pourtant, le film ne souffre d’aucune baisse de régime car le dispositif narratif joue habilement avec l’effet de retardement et d’emballement de l’action. Nous avons même droit à une parenthèse enchantée dans un café entre Victoria (Laia Costa) et Sonne (Frederick Lau). Dans cette scène, l’interprétation magistrale au piano de la valse de Méphisto par la Madrilène ainsi que ses confessions sur son passé agissent comme un révélateur de la sombre cavalcade qui suivra. Certains reprocheront au film, vers la fin, une intrigue excessive avec des situations invraisemblables. D’autres jugeront que les personnages secondaires n’ont pas été assez creusés. Il est vrai qu’on doit de temps en temps se forcer un peu pour y croire mais il faut garder à l’esprit que c’est à travers le regard de l’héroïne que l’histoire se construit.
Outre une mise en scène originale, le succès du film tient beaucoup à la performance de l’actrice Laia Costa, solaire et tout en justesse. On ira même jusqu’à dire que le film n’aurait pas eu la même résonnance sans le jeu parfait et naturel de la comédienne espagnole.
Victoria n’est pas seulement une sortie de route, un quotidien qui dérape et qui fait basculer des vies. C’est une expérience d’une intensité rare passant d’une ambiance de virée nocturne à l’ébauche d’une romance, de confidences intimes à un thriller haletant. Un film à ne certainement pas manquer en cette période estivale.