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    Une vie rêvée, le réel sous anesthésie

    Peut-on réinventer sa vie quand on a la cinquantaine passée et pas un sou en poche ? C’est la question que pose Une vie rêvée par l’entremise du personnage de Nicole (Valeria Bruni-Tedeschi), 52 ans et sans-emploi, qui vit dans une cité HLM de la banlieue parisienne avec son fils de 19 ans Serge (Félix Lefebvre), qui ne supporte plus sa mère. Pour tenter d’y répondre, le film se pare des attributs de la fable : un récit ramassé, allégorique, dont nous, spectateurs, pourrions tirer une leçon de vie.

    Situé sur la période allant de Noël au jour de l’an, Une vie rêvée commence par exposer une situation de crise : criblée de dettes, Nicole est contrainte de rendre chéquier et carte bancaire, avant d’aller réveillonner en tête à tête avec son garçon dans leur appartement miteux à la déco kitsch en diable. Afin de bien nous signaler la détresse financière de son personnage principal, Morgan Simon accumule les signes de précarité qui ne laissent aucune place au doute. Exit les cadeaux au pied du sapin, la dinde et le foie gras ; ici, les flutes à champagne sont en plastique, les cigarettes tubées à la main, le repas de noël est un menu McDonald’s réchauffé.

    Avatar de la mère du cinéaste (le film lui est dédié), le personnage de Nicole est une figure assez touchante de femme loufoque, constamment en décalage avec son environnement, en même temps qu’une mère aimante et honnête. Une ambivalence soulignée par la voix rocailleuse, au bord de la brisure, de Valeria Bruni-Tedeschi, ici excellente dans ce rôle de composition. C’est à la fois la force et la limite de ce choix de casting : si la comédienne chevronnée est à l’aise en improvisation et réagit avec souplesse à l’énergie brute de Félix Lefebvre, il est difficile de faire abstraction de son milieu d’origine. Charriant avec elle un imaginaire de cinéma auto-fictionnel associé à la haute bourgeoisie, sa simple présence change le long-métrage en un remake des Estivants (2019) version prolo.

    Modeste, sincère, ce petit conte moral ne manquerait pas de charme s’il n’était pas terni par une forme d’inconséquence politique. A trop y regarder ses personnages par le prisme de l’intime, le réalisateur évacue facilement les contraintes matérielles et sociales qui pèsent sur leurs épaules. À ce titre, le personnage de Nora, qui remettra Nicole sur les rails de sa vie, incarne un cliché du bon immigré gênant. Gérante d’un « bar à chicha dans un quartier de merde », c’est de sa bouche qu’on apprendra que « le bonheur c’est pas qu’une question de fric ». Un enseignement simpliste voire fallacieux vis-à-vis des violences systémiques dont l’anti-héroïne est victime. Les soucis de Nicole résolus d’un coup de baguette magique, la fin du récit aimerait nous apprendre que patience et dignité finissent toujours par payer et balance carrément le réel par la fenêtre. On est malheureusement trop vieux pour croire au père noël.

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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    UNE VIE REVEERéalisateur : Morgan SimonGenre : Comédie dramatiqueActeurs et actrices : Valeria Bruni Tedeschi, Félix Lefebvre, Lubna AzabalNationalité : FranceDate de sortie : 4 septembre 2024 Peut-on réinventer sa vie quand on a la cinquantaine passée et pas un sou en poche ? C'est la question que...Une vie rêvée, le réel sous anesthésie