Titre: Une vie de Saint
Auteur.ice : Christophe Siebert
Edition : Au diable vauvert
Date de parution : 13 février 2025
Genre du livre : Roman
Qui a dit que la littérature de genre n’avait pas les armes pour rivaliser avec celle de l’Académie Goncourt ? En-tout-cas, ce ne sont pas les Éditions Au Diable Vauvert qui s’échinent à faire rentrer un peu de pop culture dans un secteur encore fort attaché à ses traditions. Ni même Christophe Siebert qui arrive en bombe pour défoncer les a priori négatifs à grand coup d’orgies et de délires thaumaturgiques. Christophe Siebert, avec sa plume hypnotique, nous donne l’impression qu’il est, à l’image de son personnage, le messie du gore et du stupre.
Nikolai, dit le Svatoj pour sa familiarité avec les forces sacrées, est désigné coupable de l’attentat le plus meurtrier de Mertvecgorod – état dépotoir fictif, enclavé entre l’Ukraine et la Russie. En fait, la force de l’explosion est telle que des milliers d’habitants connaissent une mort atroce, avalés par les sols bitumé et nauséeux de leur bidonville. Après un attentat d’une si grande envergure, les esprits s’échauffent. Une vie de Saint, recueil de témoignages et d’informations journalistiques, est écrit comme pour donner aux victimes et aux curieux quelques éclaircissement sur la personnalité du coupable.
Et le coupable, parlons-en ! Un gourou thérapeute pour l’écriture duquel l’auteur s’est autant inspiré de Yukio Mishima – paix à son âme – que de Raspoutine. Il faut dire qu’avec son attitude vagabonde, son visage émacié camouflé par une barbe hirsute et son sexe réputé dantesque, la référence est difficile à maquiller. Le Svatoj, donc, erre dans les régions inhospitalières du Kazakhstan, de la Russie et de la Mongolie. Il vit, au sens le plus littéral du terme, d’amour et d’eau fraîche. Il guérit les personnes souffrantes grâce à son sexe purificateur. Médecin des gueux, le Svatoj est un homme simple qui ne se laisse corrompre que par le plaisir de la chair. Et encore, c’est pour aider son prochain. Mais ses étranges pouvoirs ne tardent pas à monter aux oreilles des apparatchniks de la RSSM, pouvoir soviétique qui – référence aussi subtile que le chibre de notre anti-héros – assied sa souveraineté sur la région. Le Svatoj, mené par son ancienne compagne, découvre alors les plaisirs d’une drogue occulte avec laquelle aucune autre ne peut rivaliser.
On dit parfois des écrivains que s’ils prennent du plaisir, les lecteurs en prendront aussi. Et on sent que l’expression parle à Christophe Siebert qui ne laisse pas son imagination entravée par des conventions. Son écriture est exaltée, saturée aussi bien de références que d’obscénités. Avec un masochisme assumé, nous nous laissons embrigadés dans cette saga apocalyptique qui suinte par tous les trous. La proposition est perchée. Mais pour autant, Une vie de Saint n’a pas pour seul fonction celle d’être le défouloir de son auteur. Christophe Siebert peut se vanter de la finesse de son écriture, qu’il utilise étrangement pour appuyer un imaginaire graisseux. Il désoriente en multipliant les narrateurs. Il tire de la jouissance à nous berner. Une vie de Saint est un livre trompe-l’œil, tellement ancrée dans des réalités historiques qu’on en vient quasiment à croire aux énormités dont il nous assomme. Christophe Siebert est un magicien. Un sorcier qui fait taire la parole bourgeoise et sa hiérarchie des littératures.