De Clémence Attar
Mise en scène par Cathy Min Jung
Avec Onur Aydin, Mahi Hadjammar, Anaïs Moray, Adel Namli, Warda Rammach, Estelle Strypstein
Du 11 février au 22 février 2025
Le Rideau
Le théâtre, ce n’est pas vraiment le médium le plus mixte qui soit. En âge déjà, car bien souvent, quand on a moins de trente ans et qu’on va voir une pièce, on fait baisser la moyenne d’âge. Un peu, beaucoup, un peu beaucoup. En classe sociale surtout, car même quand on va voir un spectacle qui incarne des préoccupations actuelles, qui parlent des jeunes, on ne retrouve pas, dans le public, toute la jeunesse. On retrouve les strates de la jeunesse les plus éduquées, les plus privilégiés, les bobos, voire carrément, les bourgeois. Mais où va la jeunesse issue des classes les plus populaires ? Sans doute au ciné, sans doute nulle part ailleurs que sur les plateformes accessibles quand on veut et où on veut. Question spectacle vivant, peut-être que cette jeunesse consomme du stand-up, et encore. Alors pourquoi cette absence des théâtres ? Peut-être par un effet boule de neige où l’absence de représentation entraîne l’absence de réception et où un art populaire il y a un siècle ou deux, est devenu élitiste.
Et c’est pour cette raison qu’il est aussi important de voir des projets comme Les enchantements se réaliser. Dans cette pièce, six jeunes, trois filles, trois garçons et la monotonie d’un mois d’août caniculaire. Face à leur propre désœuvrement, une envie, celle de pouvoir partir en vacances et pour ça, une étape obligatoire, faire de l’argent. Si la pièce n’est pas la première à donner la part belle à la jeunesse abandonnée, elle dénote des autres par son ton. Pas d’embellissement ici, il y a une volonté naturaliste, dans les costumes, dans les dynamiques, mais surtout, dans la parole. Parce que c’est le parler qui incarne le mieux cette distance avec le réel. La pièce ne fait pas de concession, bien au-delà de faire disparaitre les « ne » des négations comme « ne…pas » ou « ne…plus », elle utilise le véritable vocabulaire de celles et ceux qu’elle représente. Ça part en « wesh », en « darons », en « de ouf ».
Les enchantements c’est le réel qui entre au théâtre à grands coups de TN. C’est la réappropriation d’un espace confisqué par les élites. Dans la veine du travail de Kechiche, de Laurent Cantet, de Nicolas Mathieu,l’œuvre ne se conforme pas au parler traditionnel du médium qu’elle utilise. Elle incarne le réel et en faisant exister cette représentation fait exister toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent, donnant une légitimité à leurs vies, à leurs envies, à leurs espoirs, à leurs paroles. Et par ses gamins qui n’ont d’autre but que simplement acheter une piscine pour faire de la maille pendant quelques jours, elle met aussi en lumière cette jeunesse privée de perspectives, n’ayant pour objectif que de sortir de leurs conditions, mais aucunement les moyens d’y parvenir. En remplissant les salles de spectacles de sa vérité, de ses mots, d’elle-même, peut-être que la jeunesse populaire redonnera un jour au Théâtre sa mixité perdue.