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    Tu n’auras pas mon silence, la mécanique d’une relation abusive

    Scénario : Florence Rivières
    Dessin : Steren
    Éditeur : Marabulles
    Sortie : 29 mai 2024
    Genre : Roman graphique, Autofiction

    Tu n’auras pas mon silence est un roman graphique autobiographique qui dénonce l’emprise au sein du couple et la difficulté pour les femmes de sortir d’une relation abusive. Malgré un propos fort qui dénonce la masculinité toxique et le tabou du viol conjugal, l’album laisse sur sa faim. La narration décousue empêche le lecteur d’entrer pleinement en empathie avec le personnage principal.

    Du déni à la prise de conscience

    Marie est en couple avec Arthur, qui travaille comme rédacteur en chef d’un magazine. Elle pose comme modèle, et sa relation avec Arthur est à la fois intime et professionnelle. Cette situation la rend d’autant plus vulnérable quand Arthur se fait manipulateur et violent. Après les sautes d’humeur et les ruptures à répétition viennent le mépris et le chantage émotionnel… jusqu’au viol conjugal. Pourtant, Marie revient toujours vers Arthur et ne parvient pas à sortir de l’emprise qu’il exerce sur elle. Pourquoi ? Comment tout cela va-t-il finir ?

    Après une longue période de déni, Marie va prendre conscience de la situation. Il lui faudra un rendez-vous avec une femme médecin pour comprendre que ce qu’elle ressent après les ruptures avec Arthur n’est pas le résultat d’un cœur brisé encore épris de l’autre, mais bien un syndrome de stress post-traumatique dû à une relation de dépendance empreinte de manipulation et de violence, physique et morale.

    Pas de victime parfaite

    On sent dès le début que Tu n’auras pas mon silence se base sur une expérience très personnelle de l’autrice. Les scènes de disputes entre Marie et Arthur illustrent bien la façon insidieuse dont le couple peut servir à établir puis à maintenir une relation de dépendance malsaine qui finit par broyer la personne dominée. Les dialogues sont révélateurs des techniques de manipulation (« c’est toi qui me rend comme ça », l’alternance entre adulation et dénigrement, etc.). En cela, Tu n’auras pas mon silence aide à décrypter les mécanismes de l’emprise pour mieux les identifier et les prévenir. L’un des aspects les plus frappants du récit de Marie concerne d’ailleurs le rôle de l’entourage : en trouvant des excuses à Arthur et en invitant Marie à relativiser, les collègues et pseudo-amis contribuent à semer le doute dans l’esprit de la victime. Est-ce qu’Arthur aurait raison : serait-ce Marie elle-même la source du problème ?

    Et c’est ici le message clé à retenir : pas besoin d’être une victime parfaite pour être une victime. Oui, Marie a subi sans rien dire. Elle a cédé aux demandes d’Arthur, même les plus intimes, alors qu’elle n’avait pas envie. Elle est même revenue vers lui plusieurs fois au lieu de s’enfuir. Et pourtant, Marie est bien une victime. Et ce que tente de montrer Tu n’auras pas mon silence, c’est que cette attitude, difficile à comprendre par les personnes extérieures au couple, est justement une conséquence de l’emprise. Enfermée dans une relation toxique, la victime perd toute volonté, s’isole, et ne voit plus d’issue autre que la soumission.

    Une narration confuse qui brouille le message

    Malheureusement, la force du propos de Florence Rivières est affaiblie par le scénario qui manque un peu de pédagogie. Le décalage entre la voix off, qui décrit les mécanismes de l’emprise de manière rétrospective, et les dialogues, qui illustrent de manière non chronologique la montée des tensions au sein du couple, est souvent tel qu’il est difficile de comprendre la portée de certaines scènes. Plusieurs détails qui semblent importants ne sont pas expliqués, et sont en réalité des clins d’œil à d’autres ouvrages ou photographies de Florence Rivières (telles les guirlandes lumineuses au moment de la « reprise de contrôle »). On se sent donc parfois perdu, et c’est bien dommage, car cela empêche de s’identifier à Marie. Malgré le sentiment mitigé ressenti à la fin de la lecture, on admire la démarche courageuse de l’autrice dont le blog détaille les autres projets créatifs.

    Soraya Belghazi
    Soraya Belghazi
    Journaliste

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