Trois souvenirs de ma jeunesse
d’Arnaud Desplechin
Drame
Avec Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet, Mathieu Amalric, Dinara Droukarova, Cécile Garcia Fogel
Sorti le 20 mai 2015
Alors que d’aucuns l’attendaient en compétition, Arnaud Desplechin a dû se contenter d’une sélection à la Quinzaine des Réalisateurs lors de cette édition du Festival de Cannes. Fausse « préquelle » de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), Trois souvenirs de ma jeunesse figure pourtant parmi ses meilleurs films.
Le film se divise en trois parties, retraçant chacune un épisode plus ou moins long de la jeunesse de Paul Dédalus (personnage principal de Comment je me suis disputé…). Le premier chapitre – Enfance – jette en dix minutes les bases psychanalytiques du personnage de Dédalus à travers le suicide de sa mère névrosée et sa relation conflictuelle avec son père. Le deuxième – Russie –, un peu plus long, raconte un épisode de l’adolescence de Paul, un voyage à Minsk durant lequel il est embrigadé dans une affaire d’espionnage. Enfin, le troisième – Esther – constitue le corps principal du film et décrit la relation complexe et de longue durée entre Paul et Esther, amour de jeunesse – et/ou de sa vie.
Cette division programmatique – le titre dit tout – permet à Desplechin de revisiter trois genres et trois grands thèmes chers à son cinéma, comme s’il remettait au goût du jour certains de ses films précédents. La première partie est thématiquement et stylistiquement voisine du mélodrame classique, avec son approche presque symbolique des rapports familiaux, et évoque ainsi La Vie des Morts ou Un conte de Noël. La deuxième introduit du romanesque et rejoue un film d’espionnage – jusque dans l’utilisation de la musique – à la manière de La Sentinelle. Enfin, la troisième partie est une chronique du passage de l’adolescence à l’âge adulte, qui commence presque comme un « teen movie » léger et libéré, pour s’acheminer petit à petit vers un ton beaucoup plus doux-amer et mélancolique. Cette partie est indubitablement proche de Comment je me suis disputé….
Par la volonté de retrouver des personnages plusieurs années après, mais également par les thèmes et le ton du film, on pense presque inévitablement au cycle d’Antoine Doisnel de François Truffaut. Mais Desplechin intègre dans son cycle à lui une donnée inédite et imprévisible, celle de la discontinuité. En effet, les personnages et les situations que l’on croit retrouver d’un film à l’autre ne sont pas tout à fait les mêmes. Par exemple, Paul était philosophe dans le premier film, et anthropologue dans celui-ci. Ce décalage donne son indépendance au film par rapport à l’autre et permet d’une part de bouleverser le regard du spectateur qui aurait vu les deux, d’autre part de conserver l’attention de celui qui n’aurait pas vu le premier.
Le récit dans sa globalité est encadré par des séquences au présent, dans lesquels Dédalus adulte (Mathieu Amalric) se souvient de cette jeunesse, lui permettant de constater que sa colère de l’époque est restée intacte. La partie sur la Russie est d’ailleurs évoquée sous forme d’un interrogatoire, l’encadrement du récit empruntant lui-aussi le ton de film d’espionnage de ce chapitre. Le lien entre passé et présent se fait donc également par des moyens cinématographiques et des évocations cinéphiliques. Et ce lien se traduit surtout par l’immuabilité des sentiments de Paul, qu’il laisse éclater lors des retrouvailles avec un vieil ami, en partie responsable de sa rupture avec Esther. Amalric est le comédien idéal pour incarner ce personnage impétueux, et il est incontestablement l’acteur emblématique du cinéma de Desplechin.
Mais ce sont aussi les jeunes acteurs (Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet, Clémence Le Gall, Théo Fernandez, Pierre Andrau,…), et la manière dont Desplechin les filme, qui font la substance de Trois souvenirs de ma jeunesse et sa spécificité dans la filmographie du cinéaste. Le mélange entre la vitalité intrinsèque de leur jeu et l’aspect littéraire et distancié des dialogues crée de la nouveauté dans ce cinéma et apporte aussi toute la base de la mélancolie et de la puissance du souvenir. C’est dans le rapport entre passé et présent et dans leur agencement au sein du film que naît l’attachement pour celui-ci. Mais dans un même temps, le plaisir de cinéma que procure ce moment en compagnie de personnages familiers amène également une réflexion existentielle sur les regrets, de manière insidieuse et persistante.