Le Transperceneige
de Bong Joon-ho
Science-Fiction
Avec Chris Evans, Octavia Spencer, Tilda Swinton
Sorti le 12 mars 2014
Critique :
Figure de proue de la nouvelle vague du cinéma coréen, Bong Joon-ho vient bousculer les habitudes bien huilées des blockbusters avec sa première production internationale : Snowpiercer. Alors que la terre connaît une nouvelle ère glaciaire, ce qui reste de l’espèce humaine a trouvé refuge à bord d’un train condamné à ne jamais s’arrêter. Embarquement immédiat.
2014, la terre suffoque sous l’effet du réchauffement climatique. Les grandes puissances coalisées décident de refroidir le globe en pulvérisant du gaz dans l’atmosphère (Chemtrails alert !). Le procédé s’emballe et congèle entièrement la planète, anéantissant toute vie à l’exception des passagers du Snowpiercer. 17 ans plus tard, le train poursuit son immuable course au rythme d’un tour du monde par an. À bord, la vie repose sur une organisation stricte, ultra hiérarchisée, l’élite à l’avant, les sans-grades à la queue.
Corvéables à merci, les « queutards » (hum… Oui, la version française ne sera pas exempte de jeux de mots douteux…) vivent dans la peur, la faim et la surpopulation. Poussé par son mentor Gilliam (John Hurt), Curtis (Chris Evans) se retrouve propulsé à la tête d’un groupe d’insurgés dont l’objectif est de d’arracher le contrôle de la locomotive des mains du tout-puissant Wilford (Ed Harris) : « Contrôler la Machine, c’est contrôler le Monde ! »
Hyperréalisme et esthétique baroque
Graphiquement le film est une réussite, les changements brusques d’ambiance boostent le suspense et la rareté des plans extérieurs (un peu faibles) renforce le sentiment d’enfermement. Chaque wagon traversé développe un nouvel univers avec ses dangers et ses codes esthétiques. Les premiers compartiments sombres et crasseux laissent place aux environnements les plus divers de la salle de classe proprette à l’usine, jusqu’aux quartiers des classes supérieures au luxe outrancier.
Bong Joon-ho (Memories of murder, The Host) alterne avec brio les scènes d’action intenses et des séquences plus longues où la comédie et le dialogue prennent le dessus. L’un des points forts de la réalisation est l’utilisation répétée de gros plans qui renforcent l’immersion et donne une véritable importance aux personnages, saisis comme dans une galerie de portraits.
Cette approche réaliste participe d’une certaine noirceur, quelque chose de glauque, de cruel, se dégage du film sans que l’on puisse dire qu’il soit plus violent que la moyenne de la production actuelle. En contrepoint, l’humour est lui aussi particulièrement réussi avec une mention spéciale pour les personnages interprétés par Tilda Swinton (Manson, émissaire en chef de Wilford aussi fanatique que lâche) et Song Kang-ho (Namgoong Minsu, expert en sécurité shooté aux résidus de déchets industriels).
De la BD au film
Snowpiercer est l’adaptation de l’une des bandes dessinées cultes de la science-fiction française des années 80, Le Transperceneige (scénario de Jacques Lob puis Benjamin Legrand, dessins de Jean-Marc Rochette). Dystopie politico-écologique brillante, la série avait tendance à sombrer dans l’oubli. Sa résurrection est due à un petit éditeur coréen qui l’a publiée sans en avoir les droits avant qu’elle n’atterrisse par hasard sous les yeux de Bong Joon-ho.
De l’aveu même du réalisateur, la fidélité à la bande dessinée n’a pas été son angle d’approche. Il a considérablement transformé les protagonistes et choisi de conserver l’univers dément de Lob/Legrand et Rochette ainsi que les grands traits de l’histoire originale. Au vu des résultats, le piratage a du bon.
Divertissement de masse VS lutte des classes ?
Snowpiercer, à l’instar de la bande dessinée, fonctionne sur une suite d’analogies aussi simples qu’efficaces. Le train, c’est le monde, les passagers, c’est l’humanité, cette société du futur, c’est la nôtre dans un condensé sur rail. Facilement accessible, la réflexion déployée par l’intrigue n’est pas pour autant simpliste. À chaque pas gagné sur le pouvoir en place, une question pèse davantage sur les épaules du meneur : que faire une fois le contrôle de la machine acquis ? Entre révolution et survie de l’humanité, la dernière partie du film accélère le rythme et précipite un final qui vaut le détour.
C’est justement l’une des qualités du style de Bong Joon-ho, spectaculaire et pertinent, qui parvient (comme avec The Host) à insuffler habillement de grandes controverses sociales dans une œuvre de divertissement. Certes, on pourra objecter qu’avec son budget de 40 millions de dollars (un record pour un film coréen), il y a tout de même un certain paradoxe à faire du divertissement de masse sur la lutte des classes… Rappelons que cette somme reste une moyenne pour la production américaine. Snowpiercer respecte les standards hollywoodiens tout en relevant la qualité du genre blockbuster et c’est déjà beaucoup.
Bong Joon-ho a eu du mal à imposer ses choix de réalisation. Le producteur américain Harvey Weinstein a en effet souhaité que le montage final soit amputé de 25 minutes et qu’une voix off soit rajoutée pour adapter le film à l’audience américaine (bonjour à toi Mépris). La mobilisation de l’activiste du cinéma Denise Heard-Bashur et d’une large partie du casting (chose rare) aura finalement permis que le film sorte indemne aux USA. Cette « victoire » a cependant eu un prix puisque Weinstein a fortement réduit le tirage et donc la distribution du film : Weinstein / Wilford même combat !