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    La Tour sombre, nostalgie des vidéoclubs

    La Tour sombre

    de Nikolaj Arcel

    Fantastique, Aventure

    Avec  Idris Elba, Matthew McConaughey, Tom Taylor

    Sorti le 16 août 2017

    Voilà longtemps que le projet « La Tour sombre » faisait parler de lui. Souvent annoncé par différents studios puis abandonné au vu de la complexité du récit que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’inadaptable, le projet aura mis dix ans à se concrétiser. Maintenant que celui-ci est lancé, trois films sont prévus et destinés à être produit en parallèle à une série télévisée. Au début du mois de mai, une première bande annonce était diffusée par Sony, laissant présager le mieux. Trois mois plus tard, il faut s’attendre à une légère déception…

    Cette première bande annonce semblait annoncer un film fort, porté par des personnages charismatiques : Matthew McConaughey dans un rôle de méchant sombre et implacable affrontant un Idris Elba tout droit sorti des films de Sergio Leone. Pour le néophyte n’ayant jamais tourné les pages des huit volumes rédigés par Stephen King entre 1982 et 2012, l’univers présenté paraissait riche, complexe, alléchant et l’on pouvait s’attendre à un moment immersif de qualité.

    Jake Chambers (Tom Taylor) est depuis un an soumis à d’étonnants cauchemars dans lesquels il voit un homme en noir (Matthew McConaughey) doté de pouvoirs mystiques et qui tente de détruire une gigantesque Tour sombre, citadelle servant à connecter différents univers entre eux. Dans cette volonté de faire s’abattre les ténèbres sur notre monde, Walter Paddick – l’Homme en noir – trouvera face à lui Roland de Gilead (Idris Elba), le dernier des Pistoleros. Persuadé que ces visions sont réelles, Jake parviendra à franchir un portail qui l’amènera dans un monde dévasté où il sera pourchassé par l’Homme en noir.

    Il est avant tout intéressant de souligner le fait que La Tour sombre se distingue des autres récits auxquels Stephen King nous a habitués. Entamé à l’époque de Salem et Shining, ce récit diffère de ceux-ci par sa thématique plus orientée sur le fantastique et un univers moins horrifique. L’auteur livre ainsi une sorte de Western post-apocalyptique donnant corps à la théorie des mondes multiples de Hugh Everett. À cela il convient d’ajouter un détail amusant : La Tour Sombre est au centre du multivers établi par Stephen King et connecte plusieurs de ses histoires entre elles : Jake est par exemple doté d’un don que l’on nomme le Shine, tout comme Danny ou le cuisinier Dick Hallorann dans The Shining [à noter que Dick apparaît également dans Ça !] De même, la maison dans laquelle se trouve le portail menant au monde parallèle de Gilead est une entité maléfique comparable au Overlook Hotel de ce même film, cet « endroit inhumain [qui] transforme les humains en monstres ». Dans cette dynamique, l’un des antagonistes qui devrait plus tard apparaître dans La Tour sombre est Randall Flagg, le même Randall Flagg que l’on peut retrouver dans les livres Le Fléau, Les yeux du dragon ou encore Cœurs perdus en Atlantide. Cet univers devrait également s’enrichir du Père Callahan aperçu dans Salem. Bref, étant donné que La Tour sombre se situe au centre de l’univers du maître de l’horreur, on peut comprendre les inquiétudes des fans les plus assidus et les critiques les plus sévères.

    La Tour sombre installe son récit et ses personnages de façon classique mais efficace – quoique parfois un peu rapide : Jake est orphelin de père et vit avec sa mère qui interprète ses cauchemars comme un traumatisme et cherche à solutionner la chose en l’envoyant chez tous les psychologues de la région. Il n’a pas d’amis et ne trouve pas sa place dans ce monde ; rien ne le retient donc véritablement sur notre terre et la découverte du monde parallèle lui offre une nouvelle chance.

    Dans un premier temps, le film va donc développer son intrigue d’une façon assez similaire à nombre de films typés années 90 comme L’Histoire sans fin ou Jumanji, avec un jeune garçon qui peine à s’intégrer dans la société et se voit ouvrir les portes d’un monde où il peut exister différemment. À cela, il convient d’ajouter une petite touche n’étant pas sans rappeler Invasion Los Angeles ou la série Les envahisseurs dans laquelle David Vincent était seul à pouvoir reconnaître les extraterrestres. Dans une seconde partie, le film tendra davantage vers la quête initiatique, lorsque Jake sera confronté au monde détruit du pistolero. Le récit contient encore des références aux légendes arthuriennes, très brièvement exposées mais suffisantes pour installer assez de background au récit et anticiper la série télévisée à venir.

    Au vu de la richesse de cet univers, l’adaptation de La Tour sombre s’avérait en effet être un pari risqué. Et, malheureusement, l’équipe du film ne parvient pas à relever le défi. Non pas qu’il s’agisse d’un mauvais long-métrage, simplement d’un film maladroit. Avant tout, condenser les trois premiers tomes de la série en un film d’1h36 était une folie ; si la volonté de ne pas en faire trop est bien présente, le film souffre par là-même d’un manque considérable de développement. Plusieurs pans de l’intrigue pourraient être étirés sans problème pour une meilleure installation et le réalisateur Nikolaj Arcel s’embarrasse malheureusement peu de cela. Pour ne citer qu’un exemple, Roland de Gilead connaîtra un développement trop léger pour faire comprendre au spectateur la réelle force du personnage. Avant que ce dernier ne passe à l’action dans la dernière partie du film, un protagoniste dira « Have a Great Apocalypse », laissant entendre que Roland est un tueur implacable, mais la chose aura de quoi surprendre tant le personnage sera jusque là présenté avec retenue.

    Côté acteur, si l’on appréciera la présence de Jackie Earle Haley au casting, ainsi que les deux rôles titres que sont Idris Elba et Matthew McConaughey, il faut reconnaître que ceux-ci se cantonnent généralement au minimum syndical. McConaughey semble errer dans le film d’un air lancinant, sans trop de conviction, et Elba parvient peu souvent à dégager l’intensité de ses précédents rôles. Quand à Haley, il s’agit d’un rôle de remplissage pour le comédien qui est ici sous-exploité.

    Si le film installe trop peu son univers, il se clôture également de façon abrupte. Dix minutes avant la fin, le spectateur attendra une mise en suspend annonçant une suite future, avant que le réalisateur ne prenne le parti de plier son intrigue en dix minutes et d’offrir un Flash-Forward en guise de conclusion. En fait, le problème majeur du récit est qu’il semble envisagé comme un pilote de série télévisée et ne fait que brièvement introduire l’univers et les personnages, laissant à plus tard un développement plus intensif. Cela représente un pari risqué car l’avenir de la série dépend probablement du succès de ce pilote de luxe. Seul l’avenir nous dira si le risque valait la peine d’être pris…

    Question action, on pourra rester sur sa faim. Une seule séquence est réellement à couper le souffle, et la plupart des extraits intéressants de celle-ci sont présentés dans la bande annonce. La production semble avoir misé sur son Money Shot pour la promotion et, de ce point de vue, aura joué son joker trop rapidement. Cependant, cette séquence finale réserve tout de même de beaux retournements et possède une esthétique toute propre qui donne envie d’en voir plus. De ce fait, si le but est véritablement d’attirer le public vers une future série télévisée, le pari est réussi.

    Au fond, La Tour sombre n’est pas un mauvais film comme certaines critiques se plaisent déjà à le dire. Il s’agit d’un film trop rapidement expédié, bâclé sur certains plans et qui pêche surtout par orgueil en voulant voir trop grand. Mais il possède un certain potentiel et constitue un divertissement assez sympathique qui rendra certains nostalgiques de l’époque des vidéoclubs, car le film possède cette saveur de la VHS louée par hasard un vendredi soir pour tuer le temps. À ce propos, au sortir de la salle de cinéma, vous entendrez sûrement quelqu’un dire « C’est sympa, mais j’aurais pas payé pour le voir »… Ne vous attendez donc pas au chef d’œuvre ou au sens épique des films de Sergio Leone vendu depuis des mois et allez-y le cœur léger, vous passerez un bon moment ! En terme d’adaptation de Stephen King, nous sommes bien loin des chef d’œuvres que sont Carrie au bal du diable, Les évadés, La ligne verte ou Misery, pour n’en citer que quelques-uns, mais on se situe tout de même au-dessus de Running Man et Dreamcatcher.

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