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    « Titus d’Enfer », un choix du tonnerre pour une première Chimère

    Titre : Le cycle de Gormenghast Tome 1 : Titus d’Enfer
    Auteur : Mervyn Peake
    Editions : Christian Bourgois
    Date de parution : 11 janvier 2024
    Genre : Fantasy

    Que le grand cric me croque s’il est un jour plus important à Gormenghast. Le château jusqu’à ses tours les plus hautes est traversé d’un frisson d’excitation qui dépoussière le vieux gardien de musée et enivre les cuistots. Le longiforme Craclosse s’engage d’un pas pressée, mais toujours arachnéen dans les couloirs sans fin, pour annoncer la nouvelle. Titus d’Enfer, 77ème héritier du trône, est né. Ses yeux ronds comme des pleines lunes derrière ses lunettes trop épaisses, le docteur Salprune ne cherche pas à rassurer le comte. Titus est d’un physique disgracieux. Pire, il n’est pas normal. Et la comtesse, qu’en dit-elle ? Rien, elle est bien trop occupée à se pelotonner dans son parterre de chats blancs. Bien moins contrariée que ne l’est son indolente de fille et bien moins déchaînée que l’énorme masse graisseuse anthropophage qui sert de chef cuisinier au château, rien n’existe pour la comtesse, sauf ses animaux. Alors que la haute pyramide de pierre s’anime, qu’en bas le petit peuple continue la mission qui lui a été confiée, celle de produire les plus brillantes sculptures ; un être tout de fourberie constitué se réveille. Profitant de l’évènement, Finelame entend bien s’immiscer telle une vipère dans les plus nobles sphères de la hiérarchie.

    Il existe des livres-monde qui, par la seule force du langage, bâtissent des empires. Le premier tome du Cycle de Gormenghast en est un. Chaque page est un espace soigneusement et poétiquement décrit. L’orage devient « la gueule du ciel bourrée de vieux haillons ». La chambre des racines, « un inextricable réseau de tentacules ». Et « le cheval laisse des flaques dorées pleines de ciel dans ses sabots ». En nous précipitant dans les sommets croches des forêts, et en nous perdant dans des dédales de pierres et de poussières, Mervyn Peake nous extrait un instant à notre réalité. Un nouveau monde se matérialise, nous laissant ivres d’images, produites par de simples mots. C’est une trouée dans un paysage sans époque mais malmené par les saisons, où se rencontrent l’Empire britannique et l’âge féodal.

    Et que dire de ses personnages, si ce n’est qu’ils sont à la hauteur du décor que Peake leur a aménagé. Avec leur corps noueux ou dégoulinant et leur visage parcheminé de rides, ils s’invitent de force dans notre imaginaire. Quelque part en eux, on reconnaît les traits de certains Miyazaki. Ils sont tordus. Irrévérencieux. Drôles mais pathétiques. Et d’une certaine manière, les créatures semblent être le reflet des sentiments de leur créateur, dont on apprend dans la préface qu’il a été abîmé par la maladie, la dépression et par le privilège sordide qu’il a eu d’être, en sa qualité d’artiste, l’un des premier civil à pénétrer le camp de concentration de Bergen-Belsen. Titus d’Enfer n’est pas seulement l’héritier d’une longue lignée d’autocrates grotesques, il est aussi le petit premier de la collection Chimère qu’ouvre la maison d’édition Christian Bourgeois. Avec ce nouveau projet, le premier éditeur de Tolkien en français force la porte de nouveaux mondes qui prennent de la distance avec le réel. Et si comme il l’annonce, le Cycle de Gormenghast amorce des auteurs contemporains dans la lignée de celui à qui l’on doit Le Seigneur des anneaux, la collection Chimère risque bien de faire voyager plus d’un lecteur.

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