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    The Land of the Enlightened, chevauchée hors-norme

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    The Land of the Enlightened

    de Pieter-Jan De Pue

    Documentaire

    Sorti le 16 mars 2016

    7 ans de tournage en 16 mm aux confins des hauts plateaux afghans et une volonté farouche de sortir du cadre, c’est ce qu’il aura fallu à Pieter-Jan De Pue pour signer son premier long-métrage. Mêlant tout à la fois mythe et réel, documentaire et fiction, The Land of the Enlightened, révèle un nouveau talent du cinéma made in Belgium.

    Jeune chef d’une bande de gamins issue des tribus Kuchi, Gholan se rêve en seigneur d’un Afghanistan rendu à lui-même. À cheval, Kalash à la main, il écume les montagnes du Pamir avec ses comparses d’à peine 14 ans. Si l’occasion se présente, ils racketteront un peu d’opium à une caravane mal protégée. Si les routes n’apportent rien, ils iront collecter de vieilles mines soviétiques pour les revendre à d’autres enfants qui creusent à coup d’explosifs dans les mines de Lapis-lazulli.

    L’opium, les pierres et les balles servent de monnaie d’échange, dans un monde où les restes d’une guerre semblent préparer la prochaine. L’armée américaine est sur le départ, qui pourrait dire ce qui va suivre ? Qu’importe, dès qu’il le pourra Gholan paiera la dot de Noor, elle sera la reine du roi qu’il deviendra.

    Langages croisés

    The Land of the Enlightened est une fresque en mouvement, tissée de fils narratifs documentaires où fictionnels. Le passage d’un registre à l’autre se fait sans heurt et dessine une vraie continuité. C’est justement ce qui peut s’avérer troublant, voir dérangeant, on voudrait à certains moments clés pouvoir trancher…

    D’une scène à l’autre la caméra suit des langages qui semblent opposés, mais qui fonctionnent ici ensemble. Les plans larges et les scènes de chevauchées sauvages rappellent les westerns ou les grands films épiques. Sans rupture, le cadrage se resserre et cherche l’action au plus près ne fuyant pas la confusion, dans un style très documentaire. Les time-lapse, assez nombreux, viennent encore ajouter une autre dimension, plus moderne peut-être, à cette curieuse hybridation de langages.

    Odyssée afghane

    Le film s’ouvre avec une voix-off qui raconte les origines mythiques des Afghans, puis le regards se déplace vers l’univers étrange de ces adultes-enfants qui survient dans un présent hors des lois. L’éternité impassible des montages de cette région du toit du monde fait le lien.

    En parallèle, que ce soit en hélicoptère où retranchés dans leurs fortifications, les soldats américains paraissent totalement déconnectés du territoire qui les entoure. Sans caricature ni cliché, Pieter-Jan De Pue filme la guerre comme un phénomène temporaire, une tentative sporadique qui s’épuisera.

    Fruit des nombreux voyages en Afghanistan du réalisateur, The Land of The Enlightened est bien plus qu’un travelogue, l’expression d’une vision, développée par un étranger depuis « l’intérieur », de l’Afghanistan et de sa destinée.

    Dispositif extrême

    Issu du RITCS de Bruxelles, Pieter-Jan De Pue est cinéaste de formation. C’est toutefois en tant que photographe pour différentes ONG qu’il découvre l’Afghanistan en 2008. Une première approche nettement perceptible dans sa manière d’appréhender l’image et dans son choix du 16 mm. Parcourant pendant de long mois des zones presque inaccessibles, De Pue a dû trimballer ses bobines dans son sac à dos, mais le résultat est incomparable.

    L’esthétique que le 16 mm confère au film est sans conteste l’un de ses points forts. Le festival du film de Sundance ne s’y est d’ailleurs pas trompé en lui décernant son prix de la direction photographique. Indéniablement, il s’agit là d’un argument supplémentaire pour aller voir le film en salles. L’expérience qu’il propose gagne nettement à être vue sur grand écran.

    Les couleurs et les mouvements ressortent avec une intensité hypnotique, servie par une composition sonore et musicale très aboutie. La beauté des images et les pulsions oniriques qu’elles appellent ne font toutefois pas office de masque. On ne quitte pas le réel des yeux, la violence est bien là, la splendeur aussi.

    Alexis Hotton
    Alexis Hotton
    Journaliste du Suricate Magazine

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