The End of the Tour
de James Ponsoldt
Drame
Avec Jesse Eisenberg, Jason Segel, Anna Chlumsky
Sorti le 24 février 2016
En 2008, la sphère littéraire américaine connait un véritable frémissement à l’annonce de la mort de David Foster Wallace. Ecrivain culte aux Etats-Unis, grand dépressif à la fois excentrique et surdoué, Wallace s’est donné la mort à l’âge de 46 ans. Il avait marqué durablement les esprits avec son livre Infinite Jest* sorti en 1996. Pour David Lipsky, journaliste au magazine Rolling Stone, l’empreinte est telle à la lecture du roman qu’il demande à l’époque à son rédacteur en chef la permission de faire un large portrait du romancier.
Le film The End of the Tour, basé sur le livre de Lipsky « Même si en fin de compte, on devient évidemment soi-même » (l’article pour le magazine Rolling stone ne sera pas publié mais Lipsky en tirera un livre confession à la place), raconte l’amitié naissante entre le journaliste et l’écrivain. Durant cinq jours, David Lipsky rencontre le romancier à succès chez lui, dans l’Illinois, et le suit aussi lors de la dernière étape de sa tournée de promotion à Minneapolis. Pour le journaliste, c’est l’occasion rêvée de découvrir qui se cache derrière la pensée wallacienne. Leurs dialogues sont riches et intenses. Entre consommation de junk food et junk TV, ils conversent sur l’amour, la vie, la solitude, l’art mineur et majeur.
Pour saisir l’esprit de l’auteur adulé en Amérique, James Ponsoldt n’a pas choisi de réaliser un biopic classique retraçant tout le parcours de vie de Wallace. Il revisite la pensée de l’écrivain génial et tourmenté en balisant bien son film ; l’histoire se déroule le temps d’une rencontre de 5 jours. Et s’il est question de flash-backs, c’est uniquement pour donner l’occasion à Lipsky, à la mort de Wallace, de reprendre son enregistreur, de réécouter, de se remémorer tous les échanges intimistes qu’il a entretenus avec le philosophe prodige durant sa visite dans l’Illinois. Sur place, le journaliste est très vite emporté par le ton, l’art de la rhétorique, le charme, la complexité de Wallace et en oublie les questions dérangeantes qu’il se devait de poser sur son internement et sa cure de désintoxication.
Entre humour et intelligence, Wallace évoque notamment le cirque médiatique qu’il honnit, critique le divertissement américain, parle du sentiment d’imposture qui le hante souvent ou parle encore de son exigence maladive d’authenticité. A la fois drôle, absurde et touchant, Wallace frappe juste grâce à son extrême empathie et à son esprit visionnaire. Entre le journaliste et l’écrivain, les cartes sont souvent brouillées et les rôles inversés car Wallace ne respecte pas toujours les règles du jeu.
Le duo littéraire est servi admirablement par Jason Segel (à contre-emploi des rôles qu’on lui connait) dans la peau de l’écrivain mythique et par Jesse Eisenberg (The social network) dans le rôle du journaliste culturel.
Nul besoin d’avoir entendu parler ou lu des livres de Wallace pour apprécier ce film au demeurant fascinant car il est ponctué de conversations ordinaires qui se transforment en extraordinaires moments de vie. C’est d’ailleurs là toute la magie de ce film d’auteur.
*roman-fleuve d’anticipation de plus de mille pages, impossible à résumer, très complexe avec des notes vertigineuses et de longues digressions. Il aura fallu attendre presque 20 ans pour obtenir sa traduction en français, le roman « l’Infinie Comédie » est sorti aux éditions l’Olivier en 2015.