de Jan Martens
avec Steven Michel, Julien Josse, Nelle Hens, Laura Vanborm, Naomi Gibson, Cherish Menzo, Connor Schumacher, Ilse Ghekiere
Crédit photo © Piet Goethals
Ils sont huit et, pendant une heure vingt, presque sans pause, ils sautent. D’abord alignés face au public, ils se déplacent en diagonale, nous tournent le dos, s’écartent les uns des autres, changent de place, s’éloignent, reviennent au centre de la scène. Parfois l’un d’entre eux, sautillant toujours, passe devant ses compagnons, donnant le nouveau rythme au groupe. Parfois un autre se sépare, rompant un moment l’unité des mouvements. Et tous se resserrent à nouveau, rejouent la partition commune, communiquant par de brefs signes, des one two three qui claquent dans l’air, de plus en plus mouillé par la sueur des danseurs.
La gamme des gestes est simple – petits déhanchés, attitude volontaire de coureurs au départ, mains jetées en avant comme pour repousser quelque chose, battement de bras dans le vide. Pas de récit, pas de contact tactile entre danseurs dans cette chorégraphie géométrique et rythmique, où il n’est question que de sauter : si ce choix radical est risqué, Jan Martens parvient à rendre ce parti-pris minimaliste passionnant.
Car il y a bien une histoire dans The Dog Days Are Over, celle de l’espace et du bruit. Le territoire de la scène devient l’enjeu premier de la performance : par leurs mouvements, leurs écarts et leurs retours, les danseurs le dessinent à mesure qu’ils l’occupent, et l’on suit cette géographie mouvante comme on suit la vie des lignes dans un tableau de Franck Stella ou la danse des carrés de couleur dans le Broadway Boogie-Woogie de Mondrian. Mais les danseurs ne sont pas des points sur un plan, encore moins des machines et la fascination du spectacle naît justement de ce mélange d’abstraction la plus maîtrisée et d’effort physique on ne peut plus sensuel : les peaux rougissent sous l’effort, les visages se tendent, les souffles haletants se glissent entre les sauts. On suit comme hypnotisé la trajectoire de ce groupe qui se fait et se défait, s’écoute sans se parler, se rencontre sans se toucher : la force qui en émane en est d’autant plus saisissante. « La physicalité est une forme d’art essentielle qui peut reconnecter les gens entre eux », affirme le chorégraphe, qui est moins intéressé par l’épuisement en soi que par sa capacité à faire tomber les masques, à révéler le moi nu.
Ce qui captive surtout, c’est la musique du spectacle, uniquement issue du rythme changeant des sauts, tantôt cavalcade drue, tantôt chuintement : on jurerait entendre la pluie dans tous ses états – d’ailleurs, la fin de ces dog days (canicule en anglais), ne serait-ce pas l’arrivée brutale de la pluie ? La performance pourrait être âpre, elle se transforme en transe sonore étourdissante, et même, à plusieurs moments, drôle. Transformer le sol aride d’un trip conceptuel en drache vibrante où l’on se marre : Jan Martens est assurément un sorcier à suivre.