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    Terre noire, laisser les âmes mortes s’en aller

    Titre : Terre noire
    Auteur.ice : Rita carelli
    Edition : Métailié
    Date de parution : 09 février 2025
    Genre du livre : Roman

    Rita Carelli est l’autrice de Terre noire. Elle est née au Brésil et a étudié à Paris le théâtre et la littérature. Le détail biographique a de l’importance car son héroïne s’appelle Ana et celle-ci s’apprête à vivre un choc d’une double nature. Adolescente, elle perd sa mère du jour au lendemain, morte d’une crise cardiaque, et va alors vivre chez son père, archéologue de profession qui travaille en mission dans le Xingu. Il s’intéresse en particulier à l’archéobotanique dans cette terre indigène dans l’état brésilien du Mato Grosso où différents villages s’épanouissent tant qu’ils peuvent, avant que la déforestation ne détruise tout l’écosystème. Devenue adulte, alors qu’Ana vit à Paris, elle est « appelée » pour revenir dans le Xingu, lorsqu’elle reçoit anonymement son carnet de voyage de l’époque.

    Il n’est pas forcément intéressant de savoir quels détails biographiques l’autrice partage avec Ana. Dans les remerciements, toute une série de personnes vivant au Xingu sont saluées. Dans une note finale, il est indiqué que tous les personnages sont fictifs et que « les mots indigènes sont le fruit d’une langue inventée ». J’insiste sur ces différents points parce que c’est un livre admirable et surtout prenant pour toutes personnes intéressées par l’anthropologie. On a l’impression d’y être, de lire la version modernisée de « Tristes Tropiques ». Ana est une personne curieuse qui observe et ne juge pas les gens qu’elle côtoie, elle va même très vite, et pour sa plus grande surprise, se transformer à leurs côtés.

    Terre noire est composé de très petits chapitres, de deux ou trois pages de manière générale, qui alternent entre différentes vies : la vie d’Ana d’avant la découverte du Xingu et la vie dans le Xingu. Une deuxième partie découpera ensuite le récit, des années plus tard, entre la vie après le Xingu, à Paris, et le retour d’Ana (une sorte de flash-forward) dans le village, jusqu’à ce que les récits se mêlent. La temporalité et la timeline sont claires car l’énonciation est différente : on passe du « je » (d’une jeune fille qui se raconte dans ses carnets) au « elle » (d’une fille qui se réveille sans sa mère et devant vivre avec son père qu’elle ne voyait plus).

    Terre noire est autant un livre pour les adolescent.e.s que pour les adultes. C’est peut-être la grande force du roman, de ne pas avoir décrit cette vie d’une jeune fille en l’infantilisant ou en cherchant la facilité. C’est une jeune fille aimant davantage lire que sociabiliser, qui se cherche, se découvre et qui se trouve soudainement à vivre dans une société où la nudité est un détail, où les relations sociales ne sont pas évitables, où les histoires se vivent et s’écoutent en remettant du sens dans une cosmogonie du vivant, où les bruits de la forêt et le froid de la nuit accompagnent son sommeil. C’est aussi et surtout un très beau roman sur l’apprentissage du deuil, la mort et l’accompagnement des personnes ayant perdu un proche étant au cœur de la cérémonie du Kuarup, une grande direction narrative du roman et du village.

    Si naissance du désir il y a, Rita Carelli a le doigté de ne pas le décrire comme un affrontement générationnel. Ana n’est pas une adolescente rebelle et n’a pas de réelles relations avec son père, c’est une jeune qui va découvrir d’autres manières d’être jeune. Elle se lie d’amitié avec Kassuri, une fille qui vient d’avoir ses règles et doit donc rester enfermée, nue, en dehors de l’espace des corps masculins. À travers des échanges d’objets, des regards et de légers touchers à travers la paroi qui la cache, Ana ressent beaucoup de choses, dans son corps et sa tête, pour cette jeune de son âge, tandis que le garçon qui lui est promis, Yakaru, qui a le droit de se balader publiquement torse nu, ne la laisse pas indifférente non plus. Plus tard, quand elle reviendra les voir, devenue adulte, elle arrivera à mettre des mots, pour elle, sur les désirs qui la tenaient alors, alors qu’elle découvre un nouveau village.

    Rita Carelli, dans Terre noire, raconte la vie quotidienne, rituelle, ancrée dans la terre, de cette tribu qu’elle n’idéalise pas non plus (les indigènes ont leur défaut, comme tout le monde) et qui s’ouvre davantage aux riches blancs venus pour prendre quelques photos puis retourner dans la « civilisation ». Non sans amertume et beaucoup de désillusions, Ana adulte réalise à quel point la société européenne, française dans son cas, est éloignée de la vie, de cette vie tout entière contenue dans deux mois minuscules, quand elle était jeune, dans le Xingu. Les habitant.e.s continuent d’y survivre alors que les machines et les champs de soja empiètent de jour en jour leurs territoires.

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