Auteur : Emmanuel Moynot
Editions : Casterman
Sortie : mai 2014
Genre : Historique, politique
Cette trilogie, parue initialement entre 1992 et 1994 et rééditée en un seul volume, retrace le parcours d’Augustin, fils de bonne famille breton, dans les milieux anarchistes parisiens, à la toute fin du XIXe siècle. Moynot nous plonge au cœur d’un mouvement et d’une période marquée par les antagonismes de classes, où Paris gronde de violence, de révolte et de colère. Découvrir, à travers l’initiation d’un jeune idéaliste et de ses amis, une page de l’histoire sociale et politique française, a priori, on ne dit pas mieux. Malheureusement, la trilogie échoue à différents niveaux.
Comme récit initiatique, d’abord. On comprend qu’Augustin est en rupture avec son père et son milieu, mais pas un instant on ne ressent de l’empathie ou de la curiosité pour ce héros à l’allure romantique, cheveux blonds au vent, dont les vêtements élégants jurent au milieu de ses copains ouvriers. Jamais il ne parvient à s’incarner : il demeure le support de quelques principes simplistes, mais de ses motivations et de ses aspirations profondes, de ses rapports houleux avec son milieu et sa famille, de son tempérament, on n’apprendra rien. On n’assiste pas à l’éclosion des idées, au bouillonnement de la réflexion, à la formation d’une conscience morale : les personnages paraissent débiter des pensées toutes faites, toutes lisses, prêtes à l’emploi.
En tant qu’immersion dans un milieu, un mouvement, une pensée, Le Temps des bombes nous laisse également sur notre faim. Certes, l’auteur s’est efforcé de rendre le parler populaire et coloré de l’époque, mais là encore, l’évocation reste bien superficielle. Le moment est pourtant grave : lassés des discours, les anarchises décident de passer à l’action…
Radicalisation, fins et moyens de l’action politique, impact psychologique de l’acte violent, conception du pouvoir : les pistes à explorer pour faire un album passionnant ne manquent pas. Or, on a l’impression de lire un exposé scolaire et simpliste sur l’anarchisme, constitué de clichés et de formules toutes faites qui nuisent à la vraisemblance et à l’originalité du récit. L’auteur ne creuse pas grand-chose : ni l’identité des personnages (le héros en particulier), ni leur position sociale, ni leurs relations. Il s’attarde, dans un scénario convenu qui patine et laisse en grande partie le lecteur indifférent, sur des anecdotes et des bouts d’intrigue sans véritable intérêt, censés illustrer, de nouveau, de vastes questions supposées coller au décor (ah !, l’amour libre ; ah ! l’usage de la plume comme arme de propagande…).
Le dessin, finalement, s’accorde au reste : plutôt naïf et imprécis, saturé de couleurs trop vives, manquant de subtilité. Toutefois, il n’est pas désagréable ; à l’image de l’album, qui malgré tout se laisse lire, il se laisse regarder, mais l’œil l’oublie vite. C’est plutôt dommage pour une histoire qui traite d’enjeux complexes, de terrorisme, d’utopies, de lutte. On pourrait admettre un parti pris qui prendrait justement le contre-pied de la fascination et de l’héroïsme, rendant les copains anars à leur banalité, voire à leur trivialité humaine. Ce n’est même pas le cas ici ; on ne les admire pas, mais ils ne nous touchent pas non plus ; ils n’inspirent ni jugement, ni sympathie, ni rejet. Augustin, Louis, Lalie et les autres ne dépassent pas le stade d’être de papier sans consistance, que le vent dissipe avec les débris de leurs bombes. Ils méritaient mieux.