Scénario : Dominique Maricq, Tchang Tchong-Jen, Tchang Yifei
Dessin : Hergé
Éditeur : Casterman
Sortie : 08 janvier 2025
Genre : Documentaire, Biographie
Les tintinophiles ou toutes personnes ayant lu des Tintin de manière un tant soit peu attentive se rappellent de l’histoire amicale entre Tchang Tchong Jen, ce jeune garçon chinois et Tintin, dans le Lotus Bleu tout d’abord, dans Tintin au Tibet ensuite, des années plus tard. Seules les personnes bien renseignées savent que Tchang est en fait inspiré du vrai Tchang ou Zhang Chongren, artiste chinois, ami d’Hergé, dont on découvre ici la vie et l’œuvre.
C’est sa fille Tchang Yifey et Dominique Maricq qui ont écrit ce Tchang Tchong Jen : artiste voyageur et on peut dire que le titre de l’œuvre est particulièrement bien choisi. Les 180 pages de ce roman illustré se concentre sur deux périodes : l’arrivée de Tchang à Bruxelles, en 1931, à 24 ans, sa découverte de la Belgique et de l’Europe jusqu’en 1935, puis son retour en Belgique et en France, notamment, dès 1981. Entre temps, il put, du moins à certaines périodes de sa vie, voyager dans son pays continent qu’est la Chine.
Savoir que la fille de Tchang Tchong Jen fait partie de la création du livre et qu’elle a consacré deux entretiens à Maricq en 2023, donne une indication sur le ton global, lorsqu’on sait également que Maricq a rejoint les Studios Hergé en 1997, comme archiviste. Cet ouvrage est une hagiographie sur Tchang Tchong Jen, où celui-ci est décrit comme un homme d’une curiosité sans fin, d’un sens moral inébranlable, malgré ce qu’il aura pu subir durant la Révolution culturelle chinoise et la destruction de quasiment toute son œuvre. Par moments, on a presque l’impression de lire un album de Tintin, tant l’écriture est parfois touchante car simplette, presque moralisante, dans une perspective d’éducation de la jeunesse. Exemple choisi : Le jeune homme vit de manière très simple […]. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il se nourrit mal. On peut manger équilibré et de manière économique tout à la fois.
Si on accepte ce document pour ce qu’il est, et même si l’on regrettera dans savoir peu sur l’homme en question, dans sa vie intime, familial, de tous les jours, sous différents aspects (sexuels, amicaux, parentaux, amoureux, etc.), tant il est décrit comme quelqu’un de sage, éduqué dans l’art de la calligraphie, du taoïsme et d’autres principes chinois, Tchang Tchong Jen est passionnant. Passionnant car on nous donne à voir une époque où voyager d’un continent à un autre était une réelle aventure, plus d’une vingtaine de jours en bateau. Une époque où une guerre mondiale et ses suites mettront en pause, pendant plusieurs décennies, une amitié épistolaire entre Hergé et Tchong Jen, jusqu’à ce que le hasard fasse que le dessinateur de Tintin, à la recherche d’une trace de vie de son pote chinois, ne tombe à Bruxelles sur quelqu’un qui le connaissait. Passionnant aussi de voir à quel point cette rencontre bouleversa Hergé, en tant qu’homme et en tant qu’artiste, lui qui dépeignait jusque-là les mondes lointains que Tintin visitait sans se soucier du réalisme de l’univers et des stéréotypes racistes qu’il diffusait par là-même.
Il faut dire que Tchang Tchong Jen n’était pas n’importe qui, et qu’à côté de son aura philosophique et de son équilibre incarné, c’était aussi un grand artiste, reconnu dès son passage à Bruxelles, pendant plusieurs années, à l’Académie royale des Beaux-Arts et à son retour en Chine, où il créera sa propre école, formera des dizaines d’artistes tout en continuant de sculpter l’humanité qu’il rencontrera et de peindre le monde en recherchant toujours un équilibre et une douceur du regard. Adoubé par des artistes majeurs en Chine, il sera maltraité par Mao, relégué au rang de moins que rien avant que son retour en Europe et sa visite d’Hergé redore son blason, en France notamment où il créera des bustes géants de son ami créateur de Tintin ou encore celui, plus petit, mais tout aussi prestigieux, de François Mitterrand.