Suspiria
de Luca Guadagnino
Horreur, Fantastique
Avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth
Sorti le 14 novembre 2018
Luca Guadagnino nous avait ému.e.s l’année passée avec l’adaptation cinématographique de la romance écrite par l’Américain André Aciman, Call me by your name. Il a désormais, grâce au succès de ce film, toute l’attention d’un large public, vers qui il revient cette année avec le remake de Suspiria, film fantastique de Dario Argento datant de la fin des années septante. Un tout autre genre de long métrage…
Lourde tâche que celle de moderniser un chef d’œuvre de cinéma ! Il faut toutefois s’attendre à tout sauf à une pâle copie de l’œuvre originale.
Guadagnino remet en scène l’histoire de Susie Bannion, une jeune Américaine qui intègre la compagnie de danse allemande d’Helena Markos, au sein de laquelle des rituels sorciers semblent prendre place.
Le réalisateur troque les couleurs criardes et le côté sanglant caractéristiques du genre italien du giallo (dont Mario Bava et Dario Argento étaient les maîtres) pour une tension tout en retenue. Il place sa trame en 1977, durant les années de plomb, dans un Berlin pluvieux en proie au terrorisme d’extrême-gauche de la bande à Baader. Durant tout un quadrimestre, tandis que les danseuses progressent dans leurs répétitions, les radios crachent des informations concernant les frasques de la Fraction armée rouge.
Mais la Fraction armée rouge ne fait parler d’elle que comme un bruit de fond. Au fil des chapitres, Susie Bannion découvre la compagnie Markos, ses professeures et ses pensionnaires. Guadagnino évince toute présence masculine des murs de l’école pour dépeindre un ensemble de femmes luttant et ayant toujours lutté pour la survie de la compagnie et pour la défense de leurs droits.
Le cinéaste met ainsi en scène une nouvelle fois sa muse Tilda Swinton, ainsi que Dakota Johnson, à qui il avait déjà attribué les rôles principaux dans A Bigger Splash, un remake de La Piscine de Jacques Deray. Toutes deux éblouissent les spectateurs dans leurs rôles respectifs de Madame Blanc, professeure de danse, et Susie Bannion. Si de la part de Tilda Swinton ça n’a rien d’étonnant, la prestation de Dakota Johnson mérite qu’on la salue, dont (au passage) la rousseur rappelle celle de Lilith, figure mythique.
La danse prend une place énorme à l’écran, ce qui n’était pas le cas dans le film de Dario Argento. Guadagnino fait appel au chorégraphe franco-belge Damien Jalet pour construire des scènes de danse littéralement époustouflantes : le souffle nous en est coupé de fascination, d’admiration et d’horreur. Les frissons parcourent notre dos tandis que l’image continue d’attirer notre regard abrité derrière nos doigts.
Thom Yorke, leader du groupe britannique Radiohead, signe les morceaux qui accompagnent l’évolution remarquablement fulgurante de Susie Bannon au sein de la compagnie. Envoûtante, tantôt empreinte de sensibilité, tantôt inquiétante, cette bande originale se marie parfaitement avec des plans d’une esthétique absolument savoureuse.
Il faut néanmoins noter quelques faiblesses. Si la majeure partie du long métrage se caractérise par une certaine mesure dans le gore, Guadagnino renoue sans prévenir avec les abondantes giclées de sang du giallo dans l’avant-dernier chapitre, ce qui surprend et tend à arracher quelques rires à la salle. Autre chose, le film tire en longueur avec un épilogue dans lequel les résolutions d’intrigues secondaires sont trop dévoilées, quand la suggestion voire le mystère serait de mise.
En bref, malgré une fin inégale par rapport au reste, cette version de Suspiria surprend et transpire le talent. Celui du réalisateur, mais aussi celui des artistes desquels il s’entoure. Sublimes sont les plans, sublime est le jeu des actrices, sublimes sont les chorégraphies, sublime est la musique.
Un excellent film de sorcières à voir en toute saison.