More

    Le Suricate Magazine au Festival OFF à Avignon

    Crédit photo : Loïc Smars

    Critique de Je buterais bien ma mère de Julie Villers
    Critique de Ceci n’est plus un couple
    Critique de Silence

    Après onze heures de route en partance de Bruxelles, nous arrivons à Avignon. Nous ne comptons pas les centaines de tours, dans les immenses parkings, à la recherche d’une place. Non, nous voici déjà dans le centre de la ville, de l’autre côté des remparts, qui protègent le festival d’une quelconque invasion du gouvernement, contre les droits des artistes et leurs assurances qui baissent à vue d’œil.

    Il n’est pas encore 11 heures du matin, que les spectacles ont déjà commencé et que les rues s’animent. Certains cherchent encore quelques centimètres sur un mur, pour y coller une affiche, mais c’est peine perdue. La ville entière est recouverte de placardes en tous genres, comme du papier cadeau que l’on mettra un mois à découvrir.

    affiches avignon

    
Au hasard d’une rue, des personnes nous tendent des flyers. On les prend bien gentiment, sans se soucier de ce que c’est, mais c’était sans compter sur l’explication vivante de la personne qui vient de se poster devant nous. En quelques minutes, on a droit au résumé de la pièce, du lieu, de l’heure et d’un extrait du texte. Et, à bien y regarder, l’acteur sur l’affiche est le même quidam qui nous parle. Oui, à Avignon, quand l’acteur n’est pas sur scène, il est dans la rue en train de racoler son public. Ca permet de juger directement si le style nous plait, et la façon dont il vendra son produit nous révélera une partie de son talent et de sa motivation.

    avignon panorama

    
Après une petite visite de cette magnifique ville et un petit tour par la case « manger », nous allons indiquer au village du Festival Off que Le Suricate Magazine est là ! On prend nos badges de journalistes, on échange quelques informations et nous voilà partis.

    
Mais déjà l’heure tourne, il nous faut choisir notre première pièce. Non sans avoir été à l’office du tourisme pour prendre le programme des spectacles, de la taille d’un bottin téléphonique, et surtout un plan pour ne pas se perdre dans le labyrinthe théâtral de ces ruelles. Pour le premier, nous n’avons pas le temps de comparer ou de faire des recherches sur l’auteur, juste attirés par le titre. On se retrouve donc dans une petite salle, avec plein d’enfants, pour voir Petits meurtres et Contes de fées [De Claire Hinaut, auThéâtre Notre Dame]. Une histoire policière qui tourne autour de l’assassinat de Cendrillon. L’histoire est mignonne et essentiellement faite pour les marmots, mais certaines blagues ne peuvent être comprises que par les adultes et ça nous surprend. La pièce finit en questionnant le jeune public. Celui-ci devra déterminer qui est le coupable d’après trois suspects. Ainsi, la fin n’est jamais la même et change selon l’humeur des spectateurs en culottes courtes.

    Petits meurtres et Contes de fées

    
Après ce petit moment enfantin, notre choix se tourne vers une troupe d’impro. Le spectacle s’appelle Time [Au Théâtre Barriques]. Dix comédiens vont se baser sur des informations imaginaires que l’on aura donné au guichet pour tenter de sauver le monde. Tout le spectacle n’est qu’improvisation et voyages fantasmagoriques au pays de l’absurde. La troupe semble se connaitre depuis longtemps et fonctionne en parfaite harmonie. Ils en viennent même à se titiller entre eux et se relancer sur différentes blagues. Un réel plaisir, mais aussi une frustration de ne pouvoir revenir le lendemain, pour découvrir une toute autre aventure.

    time les bradés

    
Tout en nous remettant de nos derniers rires, nous décidons de nous installer à une terrasse pour préparer notre futur planning. A peine installés, voici qu’une kyrielle d’artistes enchaînent les présentations et les distributions de flyers à notre table. Chacun y va de son argument « C’est à deux rues d’ici ! » ou « Il y a de jolies femmes qui chantent ! » ou encore « Si ça ne vous plait pas, je ne vous en voudrai pas ! », mais surtout « C’est la pièce à ne pas manquer au festival d’Avignon ! Si vous ne venez pas, vous n’avez rien vu ! ». On trie nos piles de publicités, on compare, on analyse les descriptions. Il y a tellement à voir qu’on ne sait par où commencer, mais nous fixons plusieurs horaires possibles. De la sorte, qu’importe l’heure ou le théâtre où nous nous trouvons, nous avons déjà une petite liste de pièces pré-choisies.

    
Pour clôturer notre soirée, nous allons voir Ceci n’est plus un couple [de Ismaël Saidi, au Théâtre de l’Observance]. On croise très souvent des histoires d’amour sur scène, et même des mariages ratés. Mais lorsque le mari musulman (Ismaël Saidi) et la femme juive (Audrey Devos) se retrouvent devant le notaire pour divorcer, c’est un agglomérat d’anecdotes culturelles et de piques lancées avec amour et, surtout, beaucoup d’humour. Un duo qui fonctionne très bien sur scène et qui chasse bien loin l’idée que l’on ne pourrait pas rire de tout, surtout des religions. A conseiller, même aux athées !

    ceci n'est plus un couple

    
La soirée se referme tout doucement sur Avignon. Les dernières pièces emportent la fin des applaudissements, les racoleurs de publics rentrent chez eux et les bars servent leurs derniers verres. Il est temps pour nous de faire de même, car la journée suivante risque d’être plus belle encore.

    Dès le matin, la ville s’anime. Les saltimbanques sont partout ! On retrouve aux coins des rues des jongleurs, des danseurs, des acteurs amateurs qui profitent d’un bout de trottoir comme scène à Avignon. Ils rentreront peut-être chez eux avec la fierté « d’avoir joué à Avignon, maman !!! ».

    A l’entrée de la rue principale, sur la cour Jean Jaurès, on peut profiter d’une foire aux livres. Il va sans dire que la plupart des ouvrages traitent du théâtre, pour plaire aux touristes. Mais les prix, aussi, sont touristiques…

    
Nous commençons notre journée avec Quentin, Woody, Steven et moi [de Nicolas Maury, au Théâtre Béliers]. Etant cinéphiles, nous ne pouvions qu’apprécier cette pièce. L’histoire commence dans un vidéo-club de VHS qui fait faillite. Le gérant (Jean-Baptiste Guinchard) est un fan incommensurable de cinéma et sa femme (Julie Rattez) ne le supporte plus. Ils vont pourtant nous raconter leur rencontre et leurs souvenirs avec mille et une références au 7 ème art. Lui est dynamique, elle est pleine de fraicheur, à la fois tendre et coriace. Un beau couple, on préfèrerait leur remettre un Oscar plutôt qu’ils ne se quittent.

    Quentin, Woody, Steven et moi

    
Nous changeons directement de style : nous nous séparons de cette poésie cinématographico-théâtrale pour rencontrer la folle dingue, mais si talentueuse Julie Villers dans Je buterais bien ma mère un Dimanche [de Julie Villers et Antoine Schoumsky, au Théâtre de La Tache d’encre]. Elle est seule en scène, mais nous assistons pourtant à un dialogue fulgurant entre une fille, sa mère et sa grand-mère, toutes trois totalement déjantées. Elles ressassent leurs plus horribles meilleurs souvenirs et nous font partager une névrose familiale hilarante. (C’est d’ailleurs mon coup de cœur, mais chut !).

    Je buterais bien ma mère un Dimanche

    
Sortant à peine de cette pièce, nous hésitons pour la suite du programme. Aller voir une pièce classique ? Un p’tit Shakespeare ? Un Molière ? Un Marivaux ? Un Tardieu ? Il est toujours intéressant de voir une pièce connue, vue et revue, mais mise en scène d’une nouvelle façon. Malheureusement, rien ne nous attire plus que cela au regard du programme du Off à cette heure-ci. Alors, on se laisse surprendre et alpaguer par trois acteurs étranges en pleine rue. Leur spectacle parle de la mort, de l’au-delà. Notre curiosité l’emporte et nous nous retrouvons dans de confortables fauteuils pour voir Chiwawa [de Aude Lener et Marie Laure Malric, au Théâtre de l’Ange]. Absurdité, étrangetés, délires peu compréhensibles et loufoqueries joyeuses. Les trois acteurs (Aude Lener, Eugénie Ravon et Sébastien Perez) exagèrent leur voix durant une heure et demie et enchaînent différents personnages simplement en changeant de perruque. Le début aurait pu paraître très intéressant, abordant quelques sujets délicats de la société, mais la suite s’emballe dans tous les sens et, malheureusement, le public est laissé de côté. Les acteurs s’éclatent, partent dans d’étranges délires, mais nous ne faisons pas partie du voyage. Je me demande encore pourquoi une actrice s’est prise pour un poisson qui aimerait voler pendant un quart d’heure.

    chiwawa

    Après cette étrange pièce, on a besoin d’un petit resto pour oublier. Chinois ? Japonais ? Vietnamien ? Etrangement, Avignon est fait d’une cinquantaine de restaurants asiatiques. La raison ? Aucune idée, mais l’enquête est en cours…

    
Notre appétit rassasié, nos yeux sollicitent un spectacle rien que pour eux. Dans le programme, il y a beaucoup de danses, de shows visuels. Après 22h30, certains spectacles sont pour adultes. Autant dire qu’il y a moyen de voir de la fesse ! Nous piochons dans nos flyers et tombons sur Je vous fais un dessin ? [de Manon Lepomme, auTthéâtre de La Tache D’encre], bien qu’il soit indiqué tout en bas « Notez que la comédienne ne se déshabillera pas pendant le spectacle », sa jolie frimousse souriante et son accent de Liège nous donnent envie d’en savoir plus sur ce spectacle parlant de sexe et de séduction. En tête-à-tête avec Manon, elle nous dévoile ses pensées sur la chose en nous récitant une flopée de textes connus et d’autres un peu moins connus. Elle joue avec le public, n’hésite pas à faire des parenthèses explicatives durant son show. Son accent, ses expressions particulières donnent un réel charme à sa prestation, mais le tout manque tout de même de dynamisme à notre goût. Nous en sortons séduits, mais un peu sur notre faim.

    je vous fais un dessin

    Le lendemain, nous attaquons directement avec Les Précieuses ridicules [de Molière, au Théâtre de l’Observance]. Six acteurs revêtus de très beaux costumes nous présentent jovialement ce classique des planches, avec poésie et humour. Une très belle mise en scène permettant aux acteurs de montrer chacun leur palette de personnalités.

    les precieuses ridicules

    
Etant donné que c’est notre dernier jour, on se promène dans la ville, on admire encore les spectacles de rue, mais également l’architecture, avec le fameux Palais des Papes. Un petit casse-croûte tout en en haut du parc des Doms en contemplant le panorama et le pont d’Avignon en contre-bas. Celui-là même pour qui les touristes non-théâtreux se déplacent. On entend d’ici les remarques pleines de déceptions « Quoi, c’est ça le pont d’Avignon ? » et « Il est même pas fini !! » ou encore « J’t’avais dit qu’on aurait mieux fait d’aller à Ibiza ! ».

    pont d'avignon

    
Et puisque nous sommes près du Théâtre des Doms, autant nous y rendre. A peine l’entrée franchie, nous nous retrouvons en Belgique. Plusieurs artistes belges sirotent une bière en terrasse. On discute tous entre compatriotes et déjà l’envie de voir un spectacle en ces lieux nous titille. L’heure d’après, nous allons justement voir Silence [de Julie Tenret, Isabelle Darras et Bernard Senny, au Théâtre des Doms]. Une merveilleuse pièce avec deux marionnettes. Un couple de vieillards qui partagent, sans un mot, une profonde délicatesse et une complicité amoureuse à nous émouvoir.

    silence julie tenret

    L’heure du départ va bientôt sonner. On choisit une dernière pièce pour la route. L’histoire du cinéma en 1h10 [de Rémy.S, au théâtre du Roi René]. Six acteurs se donnent comme pari de nous expliquer toute l’histoire du cinéma, en partant de son invention à nos jours. Au début, on se laisse bercer par l’humour très simple des sketchs qui se suivent. Puis finalement, on finit par comprendre. Toute la pièce n’est qu’un enchaînement de mini-blagues prévisibles à 200% en prenant en référence les films les plus connus du néo-cinéphile. Les acteurs tentent de nous prouver que leur talent ne s’arrête pas à une boutade de Toto, mais la pièce ne leur en donne pas l’occasion. La mise en scène nous fait penser à celle de madame Jacqueline à la dernière fancy-fair de la p’tite. Et les costumes sont sûrement faits par bobonne. Seul argument : les quelques scènes vidéos projetées à l’arrière. Le talent est supérieur et on aurait envie de leur conseiller de faire des mini-sketchs sur une chaîne YouTube. Ils auraient beaucoup plus de succès. Surtout que la promesse d’une pièce en 1h10 se transforme vite en 1h40. Avec ça, on a raté l’apéro !

    l'histoire du cinema en 1h10 petante

    Pour conclure ce festival, on se retrouve en terrasse, avec des acteurs pour faire le bilan et dire au revoir à cette magnifique ville. Nous regrettons de ne pas avoir vu beaucoup plus de pièces, mais en trois jours, il nous aurait été difficile de faire mieux. Malgré tout, comme chaque fois, je promets à Avignon de revenir, de vibrer à nouveau dans ces minuscules théâtres cosys et, peut-être que la prochaine fois, j’irai enfin danser sur le pont !

    Critique de Je buterais bien ma mère de Julie Villers
    Critique de Ceci n’est plus un couple
    Critique de Silence

    Christophe Mitrugno
    Christophe Mitrugno
    Journaliste du Suricate Magazine

    Derniers Articles