Je suis resté dans les bois
de Michaël Bier, Erika Sainte et Vincent Solheid
Drame
Avec Michaël Bier, Erika Sainte, Vincent Solheid
Sorti le 26 avril 2017
Raymond le disait lui-même : qui prête à rire n’est jamais sûr d’être remboursé. Ca tombe plutôt bien : Je suis resté dans les bois n’a pas réellement été fait dans le même moule humoristique que Je suis mort mais j’ai des amis / Dikkenek / Le Tout Nouveau Testament / Hasta la vista (au choix selon vos goûts). Ou plutôt, l’absurdité ou l’innocence qui se dégagent de quelques scènes n’ont pas manqué de provoquer en moi quelques spasmes de complaisance, mais avant d’y revenir, présentation :
Je suis resté dans les bois est donc un long métrage co-écrit et co-réalisé par Vincent Solheid, Erika Sainte et Michaël Bier. L’histoire nous plonge dans la peau de Vincent Solheid, un artiste contemporain qui, dans le cadre de la création de sa future exposition, souhaite reconstituer des moments de sa vie à travers des séquences vidéo. Pour ce faire, il s’entoure d’une équipe : Erika, sa compagne, et Michaël, un réalisateur et un ami. Vincent fait également appel à des proches, des connaissances, voire de parfaits inconnus. Tous ces figurants endossent la responsabilité de jouer divers rôles ayant un lien avec l’artiste (ses parents, son premier amour, le curé de sa paroisse…).
Vincent choisit d’excaver des situations vécues dans son passé, honteuses, cocasses, tristes, ou heureuses, et il les réincarne avec une naïve sincérité. Prises individuellement, ces scènes peuvent sembler insignifiantes de par leur banalité. Mais ces faits ont en commun qu’ils ont été douloureux, pour Vincent ou pour ses proches. Au fur et à mesure que le protagoniste se replonge avec candeur et sans pudeur dans son passé, les relations entre les personnages commencent lentement à se ternir, jusqu’à mettre à nu certaines réalités qu’il aurait peut-être mieux valu garder secrètes.
La structure du film est originale et dynamique : nous suivons 1) l’histoire de gens 2) qui veulent tourner un film qui 3) raconte l’histoire d’une personne et 4) dont les images s’intègreront dans une exposition dans le film… 5) et qui tiendra lieu à Bruxelles dès le mois de novembre (dans le monde de la vérité véritable). Sur le plan formel, Je suis resté dans les bois m’a rappelé C’est arrivé près de chez vous, à savoir que le dispositif est ici conçu comme un vrai-faux reportage menant par ailleurs le spectateur vers un rythme très soutenu entre le temps présent de la narration et les éléments biographiques du passé. Cela confère au long métrage un décor parfaitement modulable, mais un récit très cohérent, presque réaliste, servi par une méthode de tournage de fiction spontanée et expérimentale. Les acteurs savent d’où ils viennent, ils savent où ils vont, sans que le cadre soit pleinement imposé à leur jeu souvent instinctif et naturel.
Mon principal obstacle au film concerne le personnage principal : Vincent Solheid. La grosse difficulté est de lui trouver une accroche, tant l’artiste semble froid, ingrat et égoïste, presque autolâtre. Ca peut être réellement désagréable de suivre pendant plus d’une heure de film un personnage pour lequel on n’éprouve aucune sympathie. Dans Je suis resté dans les bois, j’ai le sentiment qu’on me demande d’éprouver de la pitié pour quelqu’un qui, d’abord, n’en fait qu’à sa tête sans réellement prendre le temps de consulter l’avis – ni même de le prendre en considération – de ses amis et collègues, mais qui, en même temps, subit les lourds secrets de son passé qui émergent au fur et à mesure que l’intrigue avance et que son projet se développe, alors qu’enfin, lui-même provoque tout ce qui lui arrive sans réellement assumer les conséquences de ses actes (ou sans même permettre aux autres personnages de se justifier de quelque manière que ce soit). Et rien dans le comportement de Vincent Solheid ne vient contrebalancer cela. Il est irréfléchi, arrogant, prétentieux, buté, susceptible, colérique et enfantin, il parle énormément, ne laisse pas de place pour que les autres s’expriment, et n’écoute d’ailleurs personne. Je n’avais qu’une envie : que l’un des autres personnages le gifle et lui dise ses quatre vérités dans les yeux.
Bref : je méprise le personnage. Mais j’adore l’acteur. En réalité, ce que je viens de critiquer à l’instant constitue une qualité qui sert le film. Car l’attitude de Vincent Solheid adhère parfaitement au climat général de Je suis resté dans les bois. Ce dernier a la tremblote, il est légèrement étouffant, presque anxiogène tant l’ambiance est lourde : rien ne fonctionne comme les personnages le voudraient, les relations se dégradent, le projet change sans cesse, tout s’écroule… On ne regarde pas ce film pour « passer un bon moment » ; il provoque de la gêne, du malaise, certes, pas de façon aussi accablante qu’un Home de Ursula Meier, mais assez pour vous déranger devant l’écran.
Et ça fait de Je suis resté dans les bois un pari gagné, puisque le film improvise une petite histoire. Pas vraiment racoleuse, mais une petite histoire malgré tout, et c’était l’intention de ses réalisateurs. Elle ne m’a pas laissé indifférent. Finalement, la note finale, plus légère avec le vernissage de l’exposition de Vincent, me mène à espérer pour lui que la beauté sauvera le monde (L’idiot de Dostoïevski).