Le Suikerrock, 30ème du nom, s’est tenu comme chaque année lors du dernier weekend de juillet sur la Grand-Place de Tirlemont.
La capitale du sucre ne déroge pas à la règle : qui dit festival urbain, dit vêtements « de ville », moyenne d’âge significativement plus élevée et de facto programmation plus conventionnelle, càd en mesure de plaire au plus grand nombre.
Pas d’expérimentalisme Dourois débridé, non, juste une belle communion populaire devant l’église Notre-Dame-au-Lac qui surplombe la scène principale.
Programmation plus conventionnelle, donc, mais pour autant loin d’être inintéressante ! Elle est savamment conçue pour ne brusquer personne et ainsi attirer un public différent chaque jour : trois jours, trois ambiances, vraiment.
Le jour 1, « celui qu’on retient » selon Louane, c’est définitivement celui du rock. Punk, garage/blues et pop/rock alternatif type vont s’enchaîner à merveille avant de faire place à LA sensation du weekend : les légendes du hard rock made in UK, Deep Purple, en chair et en os.
The Kids
Les punks anversois de The Kids ouvraient donc le bal sur le coup de 18h. Le nom sur l’étiquette ne correspond peut-être plus trop au produit (40 ans de carrière, des premières parties d’Iggy Pop et Patti Smith à la grande époque), mais le trio opérant autour du leader Ludo Mariman a toujours la pêche et ça fait plaisir à voir. Ils nous servent un punk classique, sauvage, abrasif, unilatéral.
Le facétieux guitariste lead Luc Van De Poel, crête et pantalon kaki troué aux genoux réglementaires, use de sa Gibson SG et de ses petits soli sur l’avant-scène pour galvaniser une foule un peu molle et encore clairsemée. Punk classique niveau musique, niveau look mais aussi niveau textes. Ecoutez plutôt : Bloody Belgium, There Will Be No Next Time, I Wanna Get A Job In The City avant un Fascists Cops qui rappelle furieusement les Sex Pistols, tout cela s’enchaîne avec rarement plus de trente secondes de répit. Question intensité, on est au top !
This Is Rock and Roll et le provocateur Do You Love The Nazis, deux autres morceaux issus de leur premier LP de 1978, viennent conclure en beauté leur set de 45 minutes. Avant un rappel qui viendra aussi vite que n’importe quel autre de leurs morceaux : la cover de If The Kids Are United, de leurs confrères d’outre-Manche Sham 69, rimant avec « they ‘ll never…be divided » dans le refrain est vaillamment entonnée par le public.
The Sore Losers
Le rock garage fumant des limbourgeois de The Sore Losers entre ensuite en piste. Des musicos qui font la balance eux-mêmes avec un chanteur (Jan Straetemans) qui en profite pour glisser au passage une cinquantaine de « shit » dans son micro : l’esprit du rock’n’roll est toujours bien présent. Le look aussi : pantalons noirs, perfectos et lunettes de soleil assorties pour tout le monde.
Si Jan laisse parfois tomber sa guitare comme pendant Cherry Cherry ou Dirty Little Pretty Thing, c’est avec deux six-cordes que le quatuor opère la plupart du temps et qu’il donne sa pleine mesure. Riffs ou soli, la Gibson Les Paul de Cedric Maes (lead) est elle toujours à la fête. Emily aussi est de la partie, quoi de plus normal pour un dernier single qui est aussi leur plus grand succès jusqu’ici (n°2 en Flandre). On quitte ensuite Skydogs pour l’album précédent, Roslyn, et son premier single, Girl’s Gonna Break It dont le riff et le groove (intro et couplets) sont tout simplement géniaux.
Alors qu’ils proposent généralement un son bien lourd, brut et « sale », ils montrent ici plus de retenue et de versatilité, leur talent le leur permettant. En parlant de retenue, le public en manifeste encore un peu trop, ce qui fait lâcher à Cedric un petit : « C’mon, get out of bed now ! ». Un Beyond Repair bien enlevé arrive à point pour secouer un peu les plus récalcitrants. Cela ne suffit pas encore ? Un inattendu Kick Out The Jams du MC5, qui s’ouvre sur le célèbre « Right now, right now it’s time to…Kick out the jams motherfuckers ! », serait lui en mesure de réveiller les morts. La boucle « garage » est bien bouclée au bout d’une heure, et malgré quelques « We want more », le groupe ne proposera pas de rappel à la suite du bon stoner qu’est Tripper. Un peu dommage.
Zornik
Les limbourgeois se succèdent, les finalistes du Humo’s Rock Rally aussi (édition 2010 pour les précédents, 2000 pour les suivants) : place à Zornik, dans un style nettement moins rétro et nettement plus convenu. Ce quintette est convaincant lors des passages instrumentaux bruitistes, mais dès qu’on enlève une guitare pour mettre lourdement l’accent sur les claviers, on ne sait plus trop que penser.
Le morceau Goodbye est symptomatique : bien que le riff principal, la basse et la voix (sur le refrain) soient un peu trop inspirés par Muse, cela fonctionne…jusqu’à ce que la guitare électrique s’efface et que tout le monde s’arrête pratiquement de jouer sur une tentative de pre-chorus volontairement doux et mélodieux. On est surpris, on se demande un peu ce qui se passe car c’est comme si deux chansons qui n’ont rien à voir se télescopaient soudainement.
Pareil avec leurs petites incursions électro plus tard : le résultat est plutôt bof, cela manque de liant et n’apporte finalement pas grand-chose à leur son. On est certainement face à de bons musiciens, mais ils n’ont ni le tranchant ni le « petit truc en plus » qu’avaient les deux premiers groupes. En revanche, leur jeu de lumières avec ses combinaisons de flashes blanc, de spots mauve et de lasers vert est le plus abouti jusqu’ici.
Deep Purple
Le moment tant attendu est maintenant arrivé. Après Black Sabbath au Graspop puis Robert Plant, ex-Led Zep (faut-il le préciser ??), à Werchter, c’est au tour du troisième larron de la « trinité » du Hard Rock classique, naissant au Royaume-Uni à la fin des sixties, de fouler le sol belge cet été : Deep Purple. Moins aventureux que Led Zep mais moins segmentant que Sabbath, si ses albums auront sans doute moins marqués l’histoire de la musique (exceptions faites de Machine Head, 1972, et à la limite Deep Purple in Rock, 1970), le groupe peut tout de même revendiquer pas moins de 100 millions de disques vendus à travers le monde, ainsi que la paternité du riff de guitare qui doit rester à ce jour le plus joué au monde, celui de Smoke On The Water évidemment.
En outre, le groupe jouit d’une belle réputation en live, continuant à remplir année après année toutes les salles et même tous les stades qui se présentent à lui : cette longévité et cette constance sont à souligner. D’accord, l’as du riff qu’est Ritchie Blackmore a quitté le groupe en 1993 et l’as du clavier qu’était Jon Lord nous a tous quitté en 2012. Reste que Ian Paice (batterie), Ian Gillan (chant) et Roger Glover (basse) sont toujours fidèles au poste alors qu’ils ont débuté il y a près de 50 ans, et que cela vaut amplement le détour.
L’entraînant Highway Star, qui ouvrait Machine Head, ouvre également le show. Les trois autres extraits de cet album mythique se feront parfois attendre (Lazy et son intro à l’orgue sans limites, à mi-chemin ; le pesant Space Truckin’ et l’indémodable Smoke On The Water en fin de set), mais feront systématiquement un malheur.
Un seul regret, la voix d’Ian Gillan, un peu à la lutte parfois certes, n’est pas assez mise en valeur par la balance. Faut dire que ça envoie du lourd en face ! Entre l’intro de Hard Lovin’ Man sur la Rickenbacker de Glover et les différents soli de Steve Morse (guitare) ou Don Airey (orgue), les 15 premières minutes sont enfilées d’une traite, sans aucune respiration. A côté des classiques, il y a aussi eu de la place pour l’horrifique Vincent Price ainsi qu’ Hell To Pay, issus du dernier Now What ?! (2013).
Enfin, ce qui marque le plus, c’est la quantité et la longueur de ces soli, qui frisent parfois les 10 minutes. Chaque musicien aura droit à son moment de gloire pour faire admirer toute sa palette technique. A ce petit jeu, Don Airey est sans doute le plus impressionnant. Et ils s’en donneront encore tous à cœur joie pendant un rappel de près de 20 minutes qui se terminera après minuit. Morse d’un côté, Glover d’un autre ou encore la rythmique Glover/Paice qui a rarement été aussi groovy que sur Hush : bref, du grand art malgré leur grand âge.