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    Suede : Inside the Outsiders

    Après 20 ans de carrière, dont la moitié passée à hiberner, le quintette londonien revient avec un second album en trois ans. Les retrouvailles du bon Bloodsports (2013) à peine célébrées, le groupe s’est mis à travailler dès début 2014 sur son septième album studio, le très réussi Night Thoughts sorti fin janvier chez Warner.

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    A l’instar de leurs coreligionnaires étiquetés Britpop, Suede a bâti son son sur deux fondements essentiels : des riffs de guitare accrocheurs, hérités de la longue tradition pop britannique, depuis les Beatles jusqu’aux Smiths en passant par Bowie ; et un chanteur charismatique qu’une voix, d’abord, et qu’un look, ensuite, placent nettement au-dessus de la mêlée.

    Après des fluctuations naturelles au cours du temps, Suede ramène en 2016 ses deux points forts à un niveau qu’ils n’avaient globalement plus connu depuis Dog Man Star (1994). La voix de Brett Anderson, dont la puissance sert toujours aussi justement l’émotion, ne flétrit guère malgré les années tandis que les guitares de Richard Oakes (solo) et Neil Codling (rythmique) crachent un son riche en textures qui n’a aujourd’hui plus rien à envier à l’héritage de Bernard Butler (guitariste sur les deux premiers albums).

    Night Thoughts est en fait une sorte d’album concept qui prend comme axe narratif la vie d’un individu, faite de souvenirs d’enfance, d’amour, mais aussi d’anxiété et de désespoir, jusqu’à son issue funeste. S’il est vrai qu’à la lecture certains titres indiquent tout de suite une couleur sombre, un ton grave et plutôt pessimiste, l’enchaînement entre les morceaux est si parfait que l’ascenseur émotionnel nous balade de haut en bas sans jamais rester bloqué au sous-sol « dépression et misérabilisme ». C’est une tendance qui se perd un peu parfois avec la suprématie du MP3, mais il y a plus que jamais ici un réel intérêt à écouter cet album dans son intégralité, et du début à la fin. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est également de cette façon que le groupe a décidé de le présenter en live.

    Après un majestueux prélude de cordes, immersion solennelle mais adéquate vu le sérieux du récit, l’album commence très fort avec Outsiders. Intro post-punk lancinante, gros refrain mnémonique que toute une salle reprendra sans difficulté, le premier moment fort du disque est aussi sorti comme premier single : une évidence.

     

    Mais alors qu’on pouvait craindre un creux juste après, No Tomorrow est remarquable dans sa faculté à garder notre attention au maximum. Le titre qui nous invite à «combattre le chagrin comme s’il n’y avait plus de lendemain», laisse entrevoir les premières failles mais l’heure n’est pas encore à la résignation. Celle-ci arrivera avec fracas sur I Don’t Know How to Reach You, à grand renfort de cymbales et de lignes de guitares ininterrompues à la mélodie envoûtante. La composition la plus longue de l’album (6 minutes 12) est déjà le troisième moment fort alors qu’approche seulement la moitié de l’album.

    La seconde moitié est, elle, globalement un peu en deçà : versant un peu trop dans le downtempo et la mélancolie mais en même temps prisonnière de la narration. Entre trois morceaux «down», le sursaut nostalgique mais énergique de Like Kids est essentiel avant que l’explicite I Can’t Give Her What She Wants, sa guitare acoustique et ses percus quasiment absentes nous renvoient la dure réalité en pleine face. Le morceau se traîne un peu sur la longueur même s’il est indéniablement touchant et délicat. En tout cas, l’échec est acté, le destin tragique maintenant inéluctable. La boucle est bouclée avec When You Were Young et un bref retour du thème initial des cordes. The Fur and the Feathers fait office de final un peu pompeux et pas absolument indispensable, si ce n’est qu’il permet d’amener les dernières 90 secondes qui sont une sorte de délivrance céleste avec ses voix angéliques.

    Suede, premier « champion » de la Britpop arrivé au sommet deux ans avant l’affrontement médiatico-discographique Blur/Oasis, a toujours su allier élégance, modestie et authenticité ; avoir trois de leurs quatre premiers albums numéro 1 au Royaume-Uni, sans pour autant vendre des millions de disques à chaque fois et produire une musique susceptible d’être qualifiée de « mainstream ».

    Depuis leurs premières compos jusqu’au dernier Outsiders, en passant par l’hymne Beautiful Ones, la musique de Suede a en quelque sorte toujours été faite par des outsiders, pour des outsiders.

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