L’acteur et humoriste Stéphane Guillon revient sur le devant de la scène avec son spectacle « Premiers adieux » (joué à Liège le 19 octobre prochain, le 25 janvier à Woluwé-St-Pierre et le 08 février à Mons) et à la télévision avec une série historique « bazar de la charité ». Le Suricate l’a rencontré pour un entretien, sous le ton du tutoiement, lors de sa tournée de promo en Belgique pour évoquer son rapport à la vie et à son métier face au temps qui passe inéluctablement.
Vous allez bientôt jouer votre spectacle en Belgique, que pensez-vous du public belge ?
Le public belge, comme le public du Nord est chaleureux. Dans le Sud, c’est plus difficile de faire rire. Faire un succès à Cannes, Monaco, Nice ou Antibes, c’est plus compliqué. En revanche, quand je joue à Lille par exemple, le spectacle dure une demi-heure de plus.
Vous définissez-vous comme optimiste ou pessimiste ?
Un peu les deux et cela change selon les périodes de ma vie. J’essaie de tendre vers l’optimisme évidemment, mais je suis quand même assez misanthrope au fond de moi. Je déteste le « c’était mieux avant » qui est le credo de certains populistes tel Zemmour, mais on était plus heureux avant dans les années 70 qu’aujourd’hui. A force de vouloir contrôler la vie des gens à outrance, de surveiller leur santé, ne buvez pas, ne fumez pas, ne vous exposez pas au soleil, de les empêcher de fumer, les contrôles de sécurité, etc…. A un moment donné, t’as envie de dire : « oui mais vivez aussi ! De toute façon, vous allez bien mourir de quelque chose, donc profitez de la vie ! Il y avait une liberté qu’il n’y a plus maintenant. »
Parlez-nous de votre rapport au temps…
Il est très compliqué, car j’ai beaucoup de mal avec la fuite du temps, les enfants qui grandissent, les parents qui vieillissent. Il faudra peut-être que j’aille m’allonger un jour pour parler de tout ça… Je peux être très nostalgique. Si on me montre une photo de mes enfants petits, je peux fondre en larme, ça n’a aucun sens. Je suis assez à vif sur le temps qui passe, j’ai la nostalgie de gens que je n’ai pas connu, des artistes que j’aurais aimé connaître.
Que faites-vous pour vivre votre deuxième moitié de vie avec sérénité malgré cette angoisse ?
Peut-être rencontrer les bonnes personnes, travailler sur les bons projets, bien vivre le moment présent. Me dire que je n’ai pas mal au dos, ni aux dents, que je suis avec une femme que j’aime, que j’ai la possibilité de prendre un avion pour voir un beau pays, de monter sur scène pour faire rire les gens, que mes enfants sont en bonne santé. Etre conscient que je suis un privilégié.
Qu’est-ce que vous vous fixez comme défi/objectif à accomplir au niveau professionnel ?
Ma carrière d’acteur au cinéma et à la télévision m’intéresse beaucoup, parce que j’ai pris beaucoup de plaisir à y retourner. Je viens de terminer le tournage du Bazar de la charité, une série pour TF1 de 8 x 52 minutes où j’ai un rôle intéressant. Fiction en costumes, la série se passe début 1900, avec une belle distribution, Josiane Balasko et Audrey Fleurot entre autres. De plus, je vais tourner pour France Télévisions, Astrid et Raphael. Je prends beaucoup de plaisir à incarner des personnages et jouer des textes qui ne sont pas les miens, c’est très divertissant et reposant pour moi de ne pas avoir toutes les responsabilités du jeu et du texte.
Quand avez-vous réalisé votre potentiel comique et qu’est-ce que vous trouvez le plus jouissif dans votre métier d’humoriste ?
C’est jouissant d’arriver à faire rire des gens sur des sujets qui, a priori, ne sont pas drôles au départ. Pour moi, le rire a une fonction cathartique. J’ai mis du temps à trouver mon style qui a été aussi le fruit de rencontres. Par exemple, quand j’étais auteur avec Michel Muller, cela m’a permis de rencontrer des univers différents.
Comment préparez-vous vos chroniques et vos imitations ? Et quels sont vos meilleurs « clients » à imiter ?
Je fais un travail de journaliste, avec beaucoup de lecture de la presse. N’est drôle que ce qui est vrai, donc il faut partir de véritables informations. Il faut trouver un angle. Ceux que j’ai le plus aimé étriller, ce sont les gens qui se sont le plus énervé. Je me souviens d’un triste sire comme Eric Besson, ancien ministre de l’immigration qui a trahi le parti socialiste pour rejoindre le gouvernement Sarkozy. Quand j’ai pu enfin l’étriller, il est sorti de ses gonds. Enerver les puissants, c’est truculent.
Et pour les imitations ?
C’est de l’observation, des essais à voix haute dans ma cuisine. L’imitation est une question de confiance, le plus dur c’est de faire une imitation la première fois en public. Une fois que tu as été rassuré et que tu l’as fait plusieurs fois, tu peux le faire au débotté parce que tu sais que tu le maîtrises. Je peux imiter Sarkozy, Lucchini à tout moment car j’ai pris confiance en moi.
Et imiter Macron ? Vous en parlez plutôt de manière détournée comme « le blond ».
Macron est difficile à imiter, personne ne le tient vraiment. On en fait un petit garçon. Un jour quelqu’un finira par l’avoir. Les humoristes se piquent les imitations. Personne n’arrivait à imiter Hollande, puis quelqu’un s’y est mis et tu vois comment l’autre l’imite et la construction. Les imitateurs se détestent entre eux généralement, car ils soupçonnent toujours l’autre d’avoir piqué l’imitation.
Est-ce que la Macronie vous fait marrer et vous inspire ?
Elle me fait marrer et m’agace aussi. Une partie du spectacle est sur Emmanuel et Brigitte. J’essaie de les gâter, autant qu’ils me gâtent.
Vous avez nommé votre spectacle « Premiers adieux », alors que ceux-ci pourraient s’étaler dans le temps. Pourquoi avoir introduit cette notion-là auprès de votre public ?
Je fais une sorte de bilan. J’ai trente ans de carrière, car j’ai écrit mon premier spectacle en 1990. J’avais envie d’un état des lieux sur ma place d’humoriste. Ce qui m’est arrivé, d’avoir été viré, n’est pas anodin. Est-ce que j’ai encore envie, comment j’ai envie, est-ce qu’on peut encore rire de tout ? Le spectacle est monté comme ça, en trompe-l’œil. Je prends le contre-pied systématiquement. Je dis on ne peut plus rire de tel ou tel sujet et immédiatement après, je m’empresse d’en rire, par exemple sur la religion. Il y a un truc de sale gosse…
Pourquoi en 2019 ça devient plus difficile de rire de tout ?
C’est un processus qui a démarré il y a quelques années. Il y a des conservatismes, des castes, les féministes, les homos, les vegans, les malentendants, les handicapés, les blonds, les barbus, tout le monde a des revendications. Il faut faire attention à tout. Il y a des phrases de Coluche qu’on ne pourrait plus dire. Marlène Schiappa serait en première ligne. « Monique je l’ai violée, je ne porte pas plainte », Coluche fait un sketch là-dessus en disant elle est moche donc elle doit la fermer. C’est un sketch qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui… ou différemment. Pour autant, que fait Coluche ? Il écrit le personnage d’un beauf et il combat le personnage du beauf. Quand Guy Bedos écrit « Vacances à Marrakech », il dénonce le racisme. Guy Bedos n’est pas raciste, il ne faut pas le confondre avec le personnage, qui est là pour montrer aux gens ce qu’ils peuvent être.
Le rire devient subversif. Quel est votre regard sur la génération actuelle d’humoristes, aussi par rapport aux corporatismes que vous décrivez ?
La liberté de ton, c’est quelque chose qui se gagne. Chaque humoriste doit s’imposer. Sans vouloir faire des généralités, parce que je m’en méfie, je pense qu’on est dans un rire plus policé aujourd’hui.