auteur : Alain Frerejean
édition : Perrin
sortie : mai 2016
genre : histoire
Nous avons généralement une idée assez précise de Staline, l’allié ambivalent de la Deuxième Guerre mondiale et le Père des Peuples au règne sanguinaire. Il est en autrement de son ascension au pouvoir et de la rivalité qui l’a opposé à Trotski, dont le nom, certes connu, est pourtant moins familier. Dans ce livre, qui est aussi le scénario d’un reportage de France 5, Alain Frerejean recontextualise et raconte la rivalité de ces deux prétendants à la succession de Lénine.
« Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, préparer son coup, assouvir sa vengeance, puis aller se coucher.» (Jospeh Staline, rancunier)
Habitué aux « face à face » biographiques (Churchill-Staline et Truman-Tito), Alain Frerejean poursuit la tendance et nous propose un bon ouvrage de vulgarisation historique agrémenté de contributions de témoins et de spécialistes (le petit fils de Trotski, Stéphane Courtois, Hélène Carrère d’Encausse, etc.). En nous dressant le portrait de ces deux hommes, il nous raconte aussi l’histoire d’un XXe siècle dans lequel le communisme a suscité enthousiasme et terreur.
Trotski entre dans l’histoire comme un des meneurs de la révolution de 1917 et un acteur clé de la guerre civile qui s’en suit. Malgré son absence lors des événements de 1917, tache noire de sa biographie qu’il essayera toujours de rectifier, Staline a très tôt la confiance de Lénine. Au début du communisme, Trotski connaît à peine l’existence de Staline qui reste longtemps insignifiant. En quelques années, les choses changent. La nomination de Staline comme Secrétaire du parti, une fonction en apparence sans importance ni prestige, lui met le pied à l’étrier de sa future dictature. À la mort de Lénine, Staline lui crée un culte de la personnalité et se glisse à ses côté en qualité de seul et véritable successeur. Petit à petit, il fait son nid et écarte les anciens communistes. Il installe ses partisans au pouvoir, retourne les membres du parti les uns contre les autres et instaure un climat de peur et de délation. Après avoir raté des occasions de fédérer ses partisans, notamment par fierté, Trotski est envoyé en exil et continue de publier des articles dans l’espoir de voir naître un mouvement communiste international. Pendant ces années, « l’homme de fer » n’aura de cesse de creuser la tombe de son adversaire politique en minimisant son rôle en 1917 et en salissant sa réputation en Russie et à l’étranger. À l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, alors que certaines pièces du jeu politique sont en passe d’être redistribuées sous la pression du nazisme naissant, Trotski devient l’homme à abattre.
Relativement accessible, le livre n’en foisonne pas moins de personnages. Le défi est de naviguer entre ceux-ci – certains ayant parfois plusieurs (sur)noms – et leurs allégeances d’apparence parfois contradictoires. Le climax est atteint dans les derniers chapitres consacrés aux attentats contre Trotski où les protagonistes se démultiplient. Sans doute afin de rendre ce passage plus digeste, l’auteur adopte à partir de là un style plus romancé et, en installant du suspense, se rapproche définitivement du genre policier.
Le changement de style fait toutefois perdre au livre son aspect plus classique et scientifique du reste déjà entamé. Il est de fait quelques couacs de forme pour faire sourciller certains obsédés du style (si toi aussi tu en es un(e), tape dans tes mains). En effet, les retranscriptions de commentaires d’experts contiennent des tournures orales disgracieuses à l’écrit et, sur la fin, l’auteur multiplie les redondances entre les citations et ce qui est hors guillemets.
Ces pinailleries à propos d’une forme au demeurant fluide ne saurait entamer l’intérêt de l’ouvrage, car Staline contre Trotski est un plaisir pour tous les amateurs d’histoire.