C’est dans nos petits souliers que l’on approche de Cook and Book pour rencontrer celui qui a influencé nos lectures. Enfant, on lisait Spirou à la maison. Raoul Cauvin, le scénariste prolifique avait en charge l’écriture de plus de la moitié des séries récurrentes. Au final, peu de stress et beaucoup de discussions, les millions d’albums n’ont pas changé ce grand monsieur et c’est un homme lucide sur sa carrière et parfois triste pour ses collaborateurs dessinateurs que nous avons rencontré.
Pour découvrir une partie de l’actualité de ce jeune retraité, n’hésitez pas à parcourir les dernières critiques de ses séries :
58ème tome des Tuniques Bleues : Les bleus se mettent au vert
20ème tome des Psy : Génial comme thérapie !
7ème Best Of de Cédric : Tous en scène !
Vous avez pris, il y a peu, votre retraite chez Dupuis et j’ai l’impression que, depuis, vous êtes encore tout aussi actif, si pas plus. Est-ce que pour vous la retraite n’existe pas ?
Elle n’existe pas car, quand j’étais chez Dupuis, j’envoyais mon courrier, des bouquins, je faisais un tas de trucs, mais je n’y faisais jamais de scénario car, pour cela, j’ai besoin de tranquillité, pas de musique, etc. C’est aussi un moyen de faire abstraction de tous les problèmes et de ne penser qu’à faire son boulot.
C’est un poids en moins alors, d’être parti de chez Dupuis ?
Ce n’est pas un poids en moins car je regrette. J’avais mon bureau là-bas, on me fichait une paix royale : je faisais ce que je voulais et puis j’avais cette chance de voir le personnel, car j’ai besoin d’être entouré de gens. Quand quelqu’un avait le bras en écharpe, j’allais le trouver et je voulais absolument savoir comment c’était arrivé. Si je vois quelqu’un qui a un problème, je vais gentiment lui proposer mon aide. J’ai besoin d’avoir un contact avec les gens, contact que j’ai moins maintenant.
Pour l’inspiration ?
Oui. Je la puise maintenant comme je l’ai toujours fait : dans les bouquins, les journaux, dans tout ce qui me tombe sous la main. Même Touring secours. Sauf Playboy, car ma femme ne veut pas. (rires)
Justement, le tome 20 des Psy sort le 24 octobre, difficile de toujours trouver de nouveaux gags après autant d’années ?
Curieusement, non car le monde évolue. Par exemple, dans Les Femmes en blanc, la façon dont on est reçu dans les hôpitaux, la façon dont on opère, tout change.
Pour Cédric. Laudec m’a dit un jour à juste titre, qu’avant, Cédric jouait toujours aux billes ou aux osselets, mais que maintenant ils ont des appareils électroniques ou qu’ils ont tous des portables. Il avait raison donc j’ai demandé à un copain si sa petite fille de 8 ans jouait avec ces bidules-là et si je pouvais aller la voir. Je lui demande à quoi elle joue, elle me dit à la Wii. Elle me montre et m’explique et m’a sûrement pris pour quelqu’un qui ne comprenait rien. J’ai dit finalement dit à Laudec de mettre dans leurs mains ce que les enfants ont maintenant. C’était facultatif pour moi, mais je suis obligé de m’y habituer, d’évoluer.
Pour Les Psy, par contre, c’est différent : c’est eux que je ne comprends pas. Je le dis toujours et peut-être qu’ils vont m’en vouloir, mais je ne comprends pas leur boulot. Quand il y a un problème dans une école, il y a une cellule psychologique qui se met en place directement.
Quand j’avais 7 ans, à la Libération, j’étais à la messe avec mon papa quand on a entendu un « boum » terrible, on a appris qu’une dame, qui avait collaboré avec les allemands, avait trouvé une bombe chez elle. Ce serait maintenant “interdiction d’approcher”, alors qu’à l’époque, tout le monde allait voir, il y avait des morceaux partout. Et si un enfant voyait ça maintenant, on lui conseillerait un psy. A l’époque, on en avait pas besoin, on se refaisait nous-même.
Autre anecdote, vécue avec Bédu. A Charleroi, quand ils lancent un nouveau médicament, ils invitent des médecins. Cette fois-ci, c’était des psys, pour un neuroleptique. Ils étaient une quarantaine dans une salle où on leur en expliquait le fonctionnement. Ils parlaient tous entre eux. Avec Bédu, on se disait que quand on va arriver, ils en auront rien à cirer de la BD. Le moment arrive, on est invité sur scène pour expliquer notre BD. Effectivement, ils reparlent. Puis une femme me demande pourquoi les psys et j’ai répondu que c’était parce que je ne les aime pas. A partir de ce moment-là on a parlé une heure et demi avec eux et ils ne comprenaient pas pourquoi on ne les aimait pas. On en a peut-être besoin, mais j’irais plutôt voir un copain, je ne payerais pas pour raconter mes problèmes. Quand tu ne sais pas baiser, tu vas voir un sexologue ? J’aurais parfois été tenté de faire une BD sur eux. Je n’ai malheureusement jamais fait de BD érotique. Sans pourtant être vulgaire, juste pour en parler.
Dans vos différentes séries, justement, vous touchez à des thèmes assez lourds, que ce soit la guerre et les champs de batailles, la psychologie, la maladie, etc. C’est important pour vous de parler de ces thèmes aux jeunes ?
Oui car sans vouloir donner des leçons ou ne juger personne, je veux toujours expliquer des choses aux gens. Par exemple, pour Les Femmes en blanc, j’ai expliqué un scénario à ma femme, elle m’a dit que j’étais fou. L’histoire était simple : une infirmière d’hôpital et une autre qui travaille dans les homes. Celle des homes lui explique ce qu’on y trouve. Au début je traitais la vie des personnes âgées et l’infirmière entendant ça, se suicidait. J’ai repris la base, mais la fin est plus amusante.
Pour moi, les homes c’est affreux : quand on vous y met, c’est sans espoir d’en sortir, contrairement aux hôpitaux où le but est d’en sortir vite. C’est une façon à moi de dire qu’il ne faut pas mettre les vieux sur le côté…
C’est courageux de ne pas prendre les enfants pour des idiots.
L’enfant va lire ma série, qui a des degrés différents, mais il ne sera pas pris pour un idiot, bien au contraire. Cédric, par exemple, est fort éveillé par rapport à son grand-père.
Jamais de remarques ? Par rapport à la guerre dans Les Tuniques bleues ?
C’est la guerre, faut bien parler ! Qu’il y a des gens morts, que si vous recevez une balle, vous mourrez. Dans la dernière histoire, c’est un dentiste qui m’a donné l’idée : les dentistes pendant la Guerre de Sécessions. Il m’a envoyé des photos où les mecs rechargeaient leurs fusils et une fois chargé, ils se
levaient et recevez parfois la balle dans le visage. On ne vas pas parler des gueules cassées. Par contre, on parle de la logistique qui n’arrivait pas à temps, qu’ils mangeaient n’importe quoi et qu’ils perdaient leurs dents à cause du scorbut.
Il y a quand même une auto-censure ?
Oui, obligé. Mais bon, quand vous voyez le médecin, il est quand même plein de sang. Il ne faut pas aller trop loin, mais laisser les enfants apprendre sans donner de leçons.
C’est souvent des sujets pointus dans vos séries, à quel point vous documentez-vous et jusqu’où acceptez-vous d’être réaliste dans votre univers ?
Pour Les Tuniques bleues : c’est pour ne pas me tromper sur les dates ou le nom des officiers, sinon j’ai des associations de mémoire qui me tombent dessus.
Vous collaborez avec eux ?
Ils éditent des livres dont je me sers. Mais je fais parfois quand mêmes des conneries. Par exemple, dans les prisons de Robertsonville, quand vous voyez le sergent dans les barbelés, c’est une erreur. Ils n’existaient pas à l’époque. Ils ont été créés pour les élevages de moutons par la suite. Je me suis trompé aussi dans l’album (Des bleus en noir et blanc) où Blutch distribue des photos, ce n’est pas possible de pouvoir les donner comme ça et aussi vite.
La pire erreur que j’ai faite, mais j’en veux aux éditions qui auraient dû la voir, est que j’avais enterré Napoléon au Panthéon plutôt qu’aux Invalides. Dans ces cas-là ce n’est pas le dessinateur qu’on attaque mais moi.
Il y a donc une véritable recherche ?
Oui, dans toutes les séries que j’ai faites. Sauf dans L’Agent 212 qui est une BD totalement fantaisiste, basée sur mes souvenirs et Pierre Tombal. Même si j’ai parfois des lettres de fossoyeurs.
Revenons sur l’actualité, en septembre est sorti la troisième intégrale de Câline et Calebasse…
Oui, comme beaucoup de séries chouettes que j’ai faites, la vente baissant, cela a été supprimé. Quand on sort les intégrales, tout le monde saute dessus. Pourquoi ça n’a pas fonctionné à l’époque ?
C’est vous qui décidez des sorties des intégrales ou Dupuis ?
Dupuis évidemment. J’aimerais par exemple qu’ils sortent l’intégrale de Sammy (uniquement ceux de la période Jean-pol). Il y a aussi eu une intégrale des Tuniques Bleues de la période Salvérius : je suis content car c’est un énorme méconnu dans la BD. Ils ont ajouté des choses que je ne connaissais même pas en allant voir la famille qui leur a donné des photos, etc.
On montre souvent que la critique n’est pas toujours très sympathique avec vous, vous trouve trop populaire. Mais la critique d’aujourd’hui sont les anciens fans de votre BD, la critique change-telle ?
On m’a toujours reproché de vivre de nos ventes de BD. Ils ne se rendent pas compte que c’est grâce à nous que l’on a fait Angoulême. J’ai fait l’ouverture avec Franquin Roba, Peyo,etc. quand il n’y avait pas grand-chose. Un jour Lambil et moi on s’est fait apostrophé : « hé les belges vous n’avez rien à faire ici ». J’ai donc décidé de ne plus y aller. Dupuis recommence à y aller et on m’a dit d’y retourner. J’y suis allé et je reçois avant de partir un journal d’Angoulême où il était stipulé que tous les albums Dupuis signé par Cauvin était automatiquement rejeté de la sélection. Je me souviens aussi un peu avant, que j’y était allé à la place de Peyo sur la scène pour recevoir un prix : je me suis fait chahuté ! Quand je lui ai donné son prix, je lui ai dit que la prochaine fois, il irait lui-même ! On est considéré comme des commerciaux donc mauvais.
Parfois c’est drôle. J’ai fait 4 albums sans les signer (Du côté de chez Poje avec Carpentier) car j’étais sous contrat avec Dupuis à l’époque. Un jour Casterman me demande de signer le 5ème. (J’ai d’ailleurs été viré 20 minutes, la seule fois de toute ma vie.) Je découvre alors dans les critiques : “Pourquoi avoir été chercher Cauvin ? ; c’était bien jusqu’à maintenant ! ; cela va devenir mauvais !” etc. Pensez si j’étais heureux ! A cette dame, je lui ai expliqué la réalité et elle m’a répondu quelque chose énorme : « si on ne me dit rien, moi je ne sais rien ! » Lambil lui a répondu : « quand on ne sait rien, on n’écrit pas ! » La critique des Tuniques bleues cette fois a été étrangement épouvantable ! (rires)
Mais maintenant, ça ne me touche plus. Ce qui me fait du mal, c’est que je travaille avec des dessinateurs qui ont tous des bonnes ventes mais dont on ne parle jamais. L’humour est un peu éjecté. Pourtant ils méritent leur reconnaissance, car ce sont tous de grands dessinateurs.
Concernant maintenant vos nombreuses séries : avez-vous déjà passé la main sur une série et/ou est-ce que cela vous dérangerait de passer la main sur certains séries ?
Ça ne m’est jamais arrivé. Mais cela ne me dérangerait pas que les séries soient reprises après moi.
Il y a deux actualités étonnantes : Le Bâtard des étoiles, ou vous utilisez le crowfunding, n’est-ce pas un peu étonnant avec votre carrière de passer par là ?
Je l’ai fait à la demande de Ridel, car son album a été refusé un peu partout. Sandawe a dit qu’il le prenait. Mais je ne sais pas si ils vont le sortir un jour. Disons que les BD non réalistes ne sont pas souvent suivies par les éditeurs. Donc, maintenant, je termine ce que j’ai commencé, mais je suis fatigué de commencer de nouveaux trucs. Ne suis-je plus dans le coup ? Quand je regarde Spirou maintenant, le graphisme et l’humour ont changé.
J’ai vu que Le Bâtard des étoiles a un financement participatif toujours en cours jusque fin de l’année 2014. Ce n’est donc pas encore fini !
Je pense que je n’y crois plus. C’était pourtant gratuit et je laissais tout à Ridel.
Justement, vous dites qu’il vous a contacté. Comment démarre généralement les collaborations avec les dessinateurs ?
Dans les années 60, quand je commençais à faire des scénarios, j’ai été trouvé des dessinateurs chevronnés pour dessiner mes scénarios et je me suis fait remballé. Au départ de Lucky Luke des éditions Dupuis, j’ai été trouvé Salvérius avec un scénario et on a été choisi parmi plusieurs autres. Je me suis juré à partir de ce moment-là de ne plus jamais aller trouver un dessinateur. Ce sont toujours eux qui sont venus chez moi.
L’autre actu étonnante, c’est le film en prises réelles de Cédric. Vous a-t-on demandé votre avis ? Qu’avez-vous à dire par rapport à ça ? Et qu’en pensez-vous ?
(rires) Je rigole car il y a 5, 6 ans on m’a dit qu’on allait faire un film sur Cédric et Laudec et moi, on y a cru. Puis d’années en années, le projet est reporté. J’expliquais à Laudec (à qui ça fait du mal, alors que moi je m’en fous maintenant) : ou bien ils le font et tant mieux ou bien tant pis, on vit bien avec, la série fonctionne bien. Mais cela peut être la cerise sur le gâteau. Quand c’était en cours et que j’étais ravi, j’ai téléphoné à Zidrou (Ducobu) et lui ai dit qu’on allait faire un film sur Cédric et lui demandait comment on devait faire. Sa réponse m’a sidéré : t’as rien à dire, rien à faire, ils vont s’occuper de tout ! Et effectivement, l’investisseur veut travailler avec ses scénaristes. On les a rencontrés et ils m’ont dit que je n’étais pas le plus malheureux car ils font tout le scénario mais que si la star n’aime pas telle phrase ou telle situation, ils n’ont rien à dire non plus.
Mais c’est quoi ce truc ? Ils prennent les personnages, prennent un scénario que j’espère bon et on verra le résultat ? Donc, maintenant je m’en fous un peu. Si ils foirent ce n’est pas de ma faute de toute façon. J’aimerais bien de voir Cédric au cinéma mais je ne me fais pas d’illusions. Tous les bides d’adaptations de BD me font un peu peur !