Sous les figues
d’Erige Sehiri
Drame
Avec Ameni Fdhili, Fide Fdhili, Feten Fdhili
Présenté dans le cadre du Cinemamed 2022 et sortie prévue en salles le 14 décembre 2022
Dans une Tunisie contemporaine et rurale, un groupe de travailleurs partent dès l’aube récolter les figues d’un verger. Tempérant le dur labeur de la cueillette et la sévérité de leur chef par la légèreté de la jeunesse et la bienveillance des plus âgés, la caméra suit ses personnages indifféremment de leur importance scénaristique dans une mise en scène chorale. Diverses intrigues amoureuses se croisent ; un amour longtemps disparu revient, une relation cachée se dévoile, une femme regrette ne pas avoir épousé le bon homme. Délivrant principalement un discours sur l’amour, « Sous les figues » dépeint un portait sincère et touchant de la jeunesse rurale tunisienne.
Pastorale tunisienne
« Sous les figues » s’inscrit dans le cadre frugal et intemporel du verger. Si on pense d’emblée à la lecture du titre à « Au travers des oliviers » ou au « Goût de la cerise » de Kiarostami (et peut-être au « Poirier sauvage » de Ceylan), le film d’Erige Sehiri se distingue de ces films en installant un huis-clos au milieu des figuiers. L’absence de référentiel extérieur au verger devient ainsi centrale permettant d’une part de se concentrer sur les personnages et les concepts, les idées qu’ils portent en eux et, d’autre part, de faire rentrer la narration dans une logique théâtrale propice aux intrigues, aux sous-intrigues et aux dialogues. Respectant la règle des trois unités, le film trouve sa force dans la prestation des acteurs qui demeurent les seuls moteurs de la narration du film, laissant la mise en scène, la photographie et le montage au rôle d’auxiliaires qu’ils endossent traditionnellement dans le documentaire.
Fiction documentaire
Ayant réalisé ses premiers longs-métrages en tant que documentariste, « Sous les figues » place le souci du réel au premier plan. Si le film demeure une fiction de manière assez indiscutable avec des intrigues écrites et des directions pour les personnages, l’aspect documentaire est omniprésent. Que cela soit dans le choix de tourner avec des acteurs et des actrices non-professionnels ou dans le dénuement de la mise en scène, Erige Sehiri réalise son film comme un documentaire sans oublier pour autant de tirer parti de la grammaire fictionnelle. Ainsi la mise en scène est-elle particulièrement habile pour illustrer l’écart générationnel entre d’un côté, une jeunesse rigolant autour de publications Instagram et de l’autre, le mutisme des travailleuses plus âgées montrées immédiatement à la suite en train de prier.
Des hommes et des arbres
Filmé constamment en plan resserrés sur les corps et sur les branches, le film s’installe dans une abstraction sensuelle où les acteurs et le décor se servent réciproquement. On sent que la caméra a filmé avec beaucoup de désir les arbres et les corps dans une dynamique parfois indifférenciée ; « casser une branche, c’est comme casser un bras » dira une des protagonistes. De manière plus pratique, l’abondance des feuillages aboutit à une conséquence simple : les acteurs ne sont pas contraints par la cartographie d’un décor, ou du moins, n’apparaissent pas comme tels dans le résultat final. Allant d’arbres en arbres, les personnages voient leurs parcours s’entremêler et, toujours avec un naturel donnant tout son intérêt au film, vont de discussion en discussion comme l’on va d’arbre en arbre.
Verger et politique
Ainsi, le film tire avantage de sa concentration extrême autour des personnages et du lieu pour, dans un mouvement inverse, élargir au maximum sa réflexion en dressant une description habile de la Tunisie. L’écart entre les générations est peut-être le sujet le plus frontalement abordé par le film qui, ne serait-ce que par son casting, est criant du tiraillement d’une jeunesse pétrie par une envie de liberté mais sans cesse renvoyée à des schémas patriarcaux et traditionnalistes insurmontables. Au-delà de cette fracture générationnelle, le film discourt sur un ensemble d’oppositions qui semblent traverser la société tunisienne. Ruralité et urbanité, hommes et femmes, individus et société, labeur et repos sont autant de thèmes que le film aborde toujours avec un sens du réalisme qui les rends vivants pour les spectateurs. S’inscrivant dans une veine documentariste et misant sur le naturel de ses acteurs, la grande force du film est de parler d’un grand nombre de sujets rivalisant de complexité en n’en ayant jamais l’air.