auteur : Venko Andonovski
édition : Kantoken
sortie : décembre 2014
genre : roman
Le livre de Venko Andonovski n’est pas ce qu’on pourrait appeler une lecture mais plutôt une aventure, une introspection sur ce qu’est un livre, ce qu’est la fiction et ce qu’est la réalité. Il faut accepter de ne pas être que lecteur mais aussi auteur et personnage de ce roman. Et il faut accepter qu’il en soit de même pour l’auteur.
Il y a au total deux histoires. La principale, du moins celle se rapprochant le plus de ce qu’on appelle fiction, suit l’histoire du Padre Benjamin envoyé en mission en Croatie pour une affaire de sorcellerie. Et la seconde histoire, se déroulant à notre époque, est une histoire d’amour. En dire plus sur la seconde histoire reviendrait à dévoiler ce qui fait le charme du roman.
Au-delà de ces deux histoires clairement définies, il y en a une multitude d’autres qui se jouent des conventions littéraires et qui se jouent du temps que le lecteur ne s’y perde avec délectation. Le seul point de repère pour baliser ce fouillis de récit est la typographie. Et encore, l’écrivain qui joue le démiurge entremêle si bien les récits que le lecteur ressent une sorte de vertige littéraire. Nous allons malgré tout tenter d’éclaircir les mystères de la narration de Sorcière.
En premier lieu, le thème du livre parfaitement résumé par son titre Sorcière. La main courante qui permet au lecteur de toujours pouvoir se raccrocher à un point fixe et régulier est la sorcellerie, plus particulièrement la sorcellerie au temps de l’Inquisition. Cette dernière a mené aux bûchers des milliers de femmes qui appelées hier sorcières seraient appelées aujourd’hui femmes libérées, herboristes ou artistes. En sous-thèmes ou sont-ce les sujets principaux, il y a les thèmes immuables de la vie, l’amour et la mort. L’auteur en fait une réelle réflexion allant puiser dans la religion et la philosophie mais aussi dans l’expérience même de ces thèmes.
En second lieu, la narratologie déconcertante qui fait que « Cahier d’écrivain » prend tout son sens. Mais comme l’être humain aime nommer les choses, les comprendre et les classer, il y a des termes précis pour ce qu’a fait Venko Andonovski dans son cahier. La beauté de ce roman c’est que même en étant néophyte et sans être spécialiste de la narratologie et de la sémiotique, le lecteur trouvera du plaisir à se laisser ballotter d’un récit à un autre. Il pourra se laisser faire des bonds dans le temps, il se laissera flouer par l’écrivain qui s’amuse à intervenir en plein milieu d’un récit, qui s’amuse à faire voyager ses personnages et leurs actions à travers les époques.
En narratologie, on parle de fonction du narrateur, de temps et de niveau de narration, de voix et d’instances narratives et on parle de métalepse. Chaque système narratif se retrouve à des degrés divers dans un récit sans que forcément la personne qui écrit en soit consciente. Ici Venko conscientise ces systèmes et en joue pour brouiller les pistes conventionnelles de lecture. Parlons aussi de la métalepse qui est un procédé qui consiste à passer la frontière entre deux niveaux de narration. Ce procédé, même sans être nommé, sera celui qui sautera le plus rapidement aux yeux du lecteur. La métalepse, c’est en quelque sorte ce qui se passe lorsque qu’un acteur de cinéma franchi le quatrième mur et s’adresse au public directement.
Cette maîtrise de la sémiotique par Andonovski offre un roman à la fois philosophique sur la vie et la mort et l’amour mais aussi un roman didactique. Au final, Sorcière et son point « exclarrogatif » devrait se lire non comme un roman mais comme un essai sur la narratologie et ses applications concrètes. Vouloir s’accrocher uniquement à l’histoire racontée pourrait provoquer de graves lésions littéraires.