auteur : Yu Hua
éditions : Actes Sud
date de sortie : soctobre 2014
genre : autobiographie posthume, fiction
Après un accident, Yang-Fei, le narrateur, quitte la compagnie des vivants. Dans le monde où il se retrouve, les distinctions sociales n’ont pas disparu : alors que les plus aisés se rendent au plus vite au crématorium pour gagner le lieu de leur repos, les plus pauvres, qui comme Yang-Fei n’ont pas eu de leur vivant les moyens de s’offrir une sépulture, sont condamnés à errer dans une zone indéterminée en portant le deuil d’eux-mêmes.
Le roman de Yu Hua, un des auteurs chinois les plus célèbres, est structuré autour des sept premiers jours que passe Yang-Fei dans cet entre-deux, qui est peut-être le lieu de la quiétude véritable, où les oubliés, les malheureux, les miséreux se tiennent compagnie, reconstituant des familles, des espaces de chaleur et d’entraide. Entre les squelettes qui jouent aux échecs depuis des années et les nouveaux-venus pas encore décharnés, le narrateur croise des figures de son passé, connaissances ou proches, dont la rencontre l’amène à revenir en arrière, sur les lieux et les intrigues du monde qu’il a quitté. Et les histoires qu’il raconte sont, on ne peut plus sombres, témoignant de la brutalité et de l’arbitraire du pouvoir, de la corruption généralisée, du poids écrasant de l’argent et des conventions sociales. Pourtant, au milieu de cet individualisme violent et de ces solitudes désarmées, Yang-Fei décèle aussi des parcelles d’amour et de bonté pures : la mère adoptive qui nourrit un enfant inconnu comme son propre fils, le jeune homme démuni prêt à tout pour offrir une tombe à son amour perdu, et surtout la figure de son propre père, Yang Jinbiao, mystérieusement disparu et qu’il espère, après l’avoir cherché en vain chez les vivants, revoir parmi les morts.
Au commencement, Le septième jour peut rencontrer de la part du lecteur une forme de résistance : il n’est en effet pas très aisé de rentrer dans cette autobiographie fragmentaire et posthume qui s’ouvre sur un décor chaotique de brume, de ruines et d’explosions. Entre le monde des morts et la ville des vivants, on tâtonne pour trouver ses repères. Pourtant, dès le second chapitre, cette sensation de flou se dissipe, et on accepte, avec Yang-Fei, d’être à la fois au pays des morts et sur les traces d’une mémoire enfuie : les bribes de sa vie se mêlent aux étranges rencontres qu’il fait sur le chemin des morts, et on l’accompagne alors sans faillir jusqu’au septième jour.
Porté par une écriture très fluide, poétique et rythmée, où perce un sens aigu du temps et du mouvement, Le septième jour est une très belle évocation, mélancolique et intrigante, de la Chine d’aujourd’hui, vue du côté des laissés-pour-compte, à hauteur d’homme. Derrière la tonalité douce du récit et son atmosphère suspendue, en apparence protégée de la confusion du monde, le constant est sombre. Le seul foyer authentique, semble dire Yu Hua, ne se trouve que dans la réunion fantomatique de tous ces exclus sans sépulture, ces ratés du système, capables uniquement de veiller les uns sur les autres, de se soutenir et de former une communauté dans un monde impossible. Chez les vivants, les hommes et l’amour paraissent trop fragiles pour résister aux forces qui, à l’image des bulldozers pulvérisant de nuit les immeubles pour en déloger les habitants, les négligent et les broient.
Le foyer n’est pas dans les lieux, suggère l’auteur : il est dans les liens. De fait, c’est bien leur beauté triste que le personnage principal ramène à la surface tandis qu’il déambule entre les morts : « Quand le monde réel déprime », a dit Yu Hua au sujet de ce dernier roman, « j’écris sur un beau monde des morts. Ce monde n’est ni une utopie, ni un pays des merveilles, mais c’est beau».