Titre : Saison toxique pour les foetus
Auteur.ice : Vera Bogdanova
Edition : Actes Sud
Date de parution : 04 septembre 2024
Genre du livre : Lettres russes
De la vie quotidienne dans un pays étranger, le grand public ne sait généralement pas grand-chose, devant se raccrocher aux quelques documentaires qui pourraient confirmer ou infirmer en partie ce que l’imaginaire collectif et la propagande d’Etat ont insufflé chez eux. Ainsi, si certains ont en tête des images d’une vie moderne aux standards élevés quand on leur parle de la Russie, victimes d’une vision biaisée, focalisée sur l’hypercentre de Moscou ou Saint-Pétersbourg, ils déchanteront en lisant Saison toxique pour les fœtus, le premier livre de Vera Bogdanova, tant l’univers décrit est sordide.
L’autrice nous conte en effet l’histoire d’une famille russe entre 1995 et 2013, et plus particulièrement le destin de trois enfants qui vont répéter malgré eux les erreurs de leurs parents. Entre violence physique et psychologique, alcoolisme et impossibilité de fuir son milieu et d’échapper à cet engrenage infernal, le tableau brossé par l’autrice est très sombre, mais a le mérite de proposer une vision sans tabou sur le sort des femmes dans la Russie d’aujourd’hui, un ouvrage devenu une référence pour la génération Y.
L’intérêt de ce roman est en effet double. D’une part, il met en scène les laissés-pour-compte de la société russe – la grande majorité en réalité – ceux qui n’ont pas profité des revenus des hydrocarbures, qui ne se sont pas accaparés les ressources de l’état au cours du long démantèlement des années 1990, et qui, en désespoir de cause, ont trouvé comme des générations d’exclus, un échappatoire dans la boisson, et d’autre part, il prouve à quel point la société russe est encore extrêmement patriarcale et les conséquences de ce modèle pour toutes les femmes.
Si sur le fond l’ouvrage de Vera Bogdanova est extrêmement sombre, il est d’une très grande fluidité sur la forme, permettant une lecture haletante et rapide.
Lorsque vous vivez en Russie et que vous vous aventurez loin des décors Potemkine des grands centres urbains, que votre regard ne se porte pas uniquement sur le clinquant, vous commencez à percevoir certaines anomalies dans ce décor de cartes postales… la misère, la violence, la pauvreté et l’absence d’ascenseur social que Vera Bogdanova décrit si bien dans son roman. Une œuvre indispensable pour comprendre la Russie d’aujourd’hui.