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    Sa majesté des mouches. Des yeux de gamins à l’état sauvage

    Scénario : Aimée de Jongh
    Illustrateur : Aimée de Jongh
    Éditeur : Dargaud
    Sortie : 13 septembre 2024
    Genre : Aventure

    L’histoire est celle que les lecteurs et lectrices de Sa majesté des mouches, de William Golding, connaissent : un avion s’écrase sur une île peuplée de cochons, laissant comme seuls survivants une tribu de garçons. Ceux-ci vont cartographier leur nouvel habitat avant d’essayer d’établir des règles de vie précaires, notamment grâce à une conque, porteuse de la parole. Cependant, très vite, les envies se feront diverses et opposées et la « civilisation » se fissurera : les cochons ne seront plus les seuls à être pris pour cible.

    Pour tuer le suspens, le roman graphique d’Aimée De Jongh ne parvient pas  au niveau du livre du prix Nobel de littérature 1983. C’était peut-être illusoire, naïf et enfantin, justement de ma part d’espérer retrouver le même ahurissement qu’à la lecture de ce livre écrit en 1954, livre qui a traversé les âges, les époques et les barrières, pour nous raconter ce massacre entre humains. Golding laisse transparaître une si belle innocence lentement corrompue, suivie d’un tel désespoir et d’une telle tristesse, alors que les dessins de l’autrice bloquent la route à notre imaginaire personnel plus qu’ils ne dégagent un passage vers notre propre vision de l’épopée.

    Cette vision restreinte de l’œuvre se fait visible à certains moments. Ce sont peut-être des détails mais ils jouent beaucoup à la lecture d’un tel monument. Lorsque les garçons qui se disputent la position de chef du village, accompagnés de Simon, parviennent au sommet de l’île, un plan d’ensemble nous montre ce bout de territoire qui paraît… si petit. Il est difficilement concevable d’imaginer une bande de pré-ados vivre plusieurs jours/semaines dans un îlot pareil. De même, pour leur installation, l’autrice choisit d’illustrer, très tôt dans le récit, un camp semi-improvisé alors qu’aucune organisation sociale ne s’était alors soulevée et que les jeunes s’amusaient surtout sur la plage. La série Lost marque peut-être ma manière de concevoir la survie sur une île déserte…

    À d’autres moments, les mots de Golding que De Jongh a repris, enlevant de la matière plus qu’elle n’en rajoutait, semblent être redondants en français, illustrant des actions en cours. Par amour de la littérature, elle a voulu garder des descriptions qui ne font que dire en mots, traduits dans un français actuel, ce que ses dessins racontent très bien. Ce qu’elle ne parvient pas non plus totalement à faire, spoiler alert pour les personnes peu familières avec Sa majesté des mouches, c’est à rendre sensible ce sentiment glaçant qui coule dans les veines à la mort de personnages principaux. L’émotion vient à manquer, la composition graphique se distanciant du drame, en particulier après le fracas dans le vide du corps de Cochonnet. Sa représentation des garçons se coupe régulièrement des affects, de l’émotion, des traces d’humanité pour se contenter d’un trait lisse, sans aspérité ou saleté. Si ma critique peut sembler à charge contre De Jongh, Sa majesté des mouches reste une belle entrée en matière pour des jeunes avant de lire le roman original. Cette bande dessinée, peu chargé d’éléments textuels, se lit d’une traite grâce aux dessins très riches et luxuriants décrivant cette île peuplée de sangliers et de petits hommes en furie.  Ces corps, sauvages ou en voie d’ensauvagement, font partie d’un univers naturel magnifique qui les dépasse et ne sont jamais le centre de l’attention. S’agissant d’enfants se délestant lentement de marques civilisationnelles, les vêtements sont très vite retirés et, fort heureusement, les corps, lisses, ne sont jamais sculptés comme des objets mais sont de vrais sujets, moteurs de l’action. L’autrice s’attarde en particulier sur les têtes qui, l’histoire d’un instant, rêvassent, se perdent dans un passé perdu ou un avenir hypothétique, ou s’affrontent du regard avant d’en venir aux mains. C’est à travers ce jeu de regards d’ailleurs, que l’autrice fait la différence et marque son trait, dessinant souvent les cases en vue subjective, l’innocence bleue des yeux enfantins passant de la violence et au manque d’empathie avant de réaliser l’horreur dans laquelle ils ont tous plongés.

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