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    Rouge Décanté au Théâtre National : encore ce 7 octobre !

    De Jeroen Brouwers, mise en scène de Guy Cassiers, avec Dirk Roofthooft

    Du 5 au 7 octobre  à 20h15 au Théâtre National

    Dans les années 1940, pendant l’occupation japonaise de l’Indonésie alors colonie néerlandaise, le camp de Tjideng, à Jakarta, a abrité des milliers de femmes et d’enfants européens. Originellement sous administration civile, le camp est ensuite passé sous contrôle militaire : plusieurs centaines d’internés y sont morts, victimes de la faim, de la maladie, du manque de soins et des mauvais traitements. C’est là que l’écrivain néerlandais Jeroen Brouwers a passé trois ans de sa petite enfance, avec sa mère, sa sœur et sa grand-mère. C’est de là qu’il nous parle, dans Rouge Décanté, récit autobiographique déroulant depuis la mort de la mère, dans les années 1980, les souvenirs du camp et l’empreinte qu’elle a laissée sur sa vie.

    Et cette empreinte est rouge sang : Rouge Décanté fait bien plus que nous bouleverser, il nous dévaste, nous tord à l’intérieur.  Rares sont les émotions aussi fracassantes au théâtre que celles données ici par l’explosive combinaison du texte de Brouwers, de la mise en scène de Guy Cassiers et de l’interprétation de Dirk Roofthooft.

    Comme dans les récits les plus forts et les plus dérangeants de l’expérience concentrationnaire ­– on pense notamment à Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, d’Imre Kertescz –, Rouge Décanté ne ressemble pas au témoignage d’une victime. Et c’est bien ce qui le rend si inconfortable, si malmenant : difficile, au premier abord, d’entrer en empathie avec le narrateur, tant il semble amer, dur, loin des hommes. On a la sensation que ce n’est pas lui qui raconte ou analyse, mais un flot d’images qui remontent le long de son corps, jusqu’à sa voix, sans progression linéaire : images de la dégradation des corps et de l’humiliation, au camp ; images du désir qui bataille, à l’âge adulte,  pour espérer la beauté non souillée ; image des trahisons, des liens perdus, des abandons. La violence, la mort, la décomposition ne sont plus extérieures, elles rampent à l’intérieur, se propagent dans le visible, contaminent tout, l’amour, la confiance, la conscience de soi : « nulle chose existe qui n’en touche une autre », répète Brouwers, comme un mantra.

    A ce texte d’une puissance visuelle à couper le souffle, Guy Cassiers apporte comme à son habitude une mise en scène très sobre et extrêmement réfléchie, où la vidéo, la lumière, les installations au sol fabriquent un espace à la fois cru, intimiste et austère, qui laisse s’exprimer toute l’écrasante présence de Roofthooft. Le grand acteur flamand, sauvage, douloureux, éclatant, incarne majestueusement ce texte à vif. Histoire d’un amour tranché, d’une béance impossible à combler, d’une déliaison, Rouge Décanté nous soude aux images, celles qui disparaissent et celles que le temps n’efface pas : le sourire d’une mère tondue, le pied d’un enfant englué dans l’asphalte fondu, l’innocence ravagée, le bourdonnement des mouches autour des vivants brisés. A la fin de la pièce, le noir qui succède au rouge ne les chasse pas ; on pleure avec elles le manque dont elles portent la trace, comme un morceau de chair arraché à l’humanité.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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