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    Riefenstahl, portrait d’une artiste coupable

    En mars 2017, suite au décès de Horst Kettner, le compagnon de Leni Riefenstahl, le patrimoine de la cinéaste devient pour la première fois accessible. Andres Veiel, réalisateur de Beuys avec lequel il avait déjà prouvé son aisance à s’emparer d’une large quantité d’archives, est contacté par Sandra Maischberger, productrice, qui lui propose de s’y plonger pour réaliser un film. Tirant parti de sept cent caisses de documents inédits, Veiel se lance dans un exercice périlleux : examiner la position publique de Riefenstahl, inamovible jusqu’à sa mort en 2002, au regard d’une supposée vérité dissimulée par ses soins dans son fonds personnel.

    Les limites du projet sont rapidement perceptibles : avec un certain systématisme, le cinéaste confronte des extraits d’émissions télévisées, dans lesquelles la réalisatrice s’insurge contre les accusations de sympathie pour l’idéologie nazie à son égard, avec des photographies et des écrits qui l’incriminent. Une logique binaire peu féconde et très illustrative qu’Andres Veiel ne parvient pas toujours à dépasser, et qui ne semble dans un premier temps que rejouer un procès dont les pièces à conviction essentielles furent longtemps manquantes, et dont tout le monde connait déjà l’issue.

    Mais, petit à petit, l’accumulation des images d’archives mettant en scène Riefenstahl finissent par faire émerger un personnage : bien plus que dans ses prises de parole, l’artiste allemande se révèle à son corps défendant lorsqu’elle baisse la garde et est capturée dans des moments d’abandon. Dans un extrait datant des années 1970, on la voit regarder à nouveau son film Le Triomphe de la volonté, captation du congrès de Nuremberg du NSDAP en 1934, et s’extasier de son sens du cadre et du montage. Idem d’un rush précédant une interview de la cinéaste quelques années avant sa mort, dans lequel celle-ci dirige insidieusement depuis sa chaise l’équipe de journalistes venus la filmer afin qu’ils l’éclairent de façon flatteuse.

    Le film dresse le portrait en creux d’une femme égocentrique, autocentré au possible, incapable d’empathie et prête à toutes les manipulations pour conserver l’image qu’elle se fait d’elle-même. Celle d’une réalisatrice de grand talent, simple exécutante des commandes du parti et autrice de films tous parfaitement apolitiques. On sait très bien où se placent celles et ceux qui disent se situer en dehors de l’échiquier politique (à droite), et certains documents viennent largement ternir cette vision édulcorée d’une artiste dévouée à son métier : lors d’un repérage à Końskie le 12 septembre 1939, Riefenstahl se désole de la présence de Juifs dans l’arrière-plan. Suite à ses propos, vingt-deux d’entre eux seront exécutés par les soldats de la Wehrmacht.

    Ce que nous apprend in fine cet examen minutieux de la personnalité de Riefenstahl et de ses zones d’ombres, c’est que ses films sont autant révélateurs de ce qu’ils exaltent que de ce qu’ils occultent. Dans sa fascination morbide pour la puissance et la santé des corps « beaux », dans la glorification des athlètes allemands capturés dans Les Dieux du stade, se cache le mépris de la différence, des faibles et des minorités. Dans la rigueur inouïe du cadre et dans la précision du montage du Triomphe de la volonté, se dissimule l’aversion pour la liberté des peuples. Ce n’est bien entendu pas un principe immuable, mais cet impensé de la cinéaste pour ses propres affects autoritaires révèle bien ce que le pouvoir totalitaire et la terreur peuvent avoir de fascinant : en filmant depuis le camp des dominants et des oppresseurs, Riefenstahl rêve d’accéder à une grandeur historique. Sa postérité est indéniable, certes, mais ça n’est certainement pas celle qu’elle souhaitait.

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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    RiefenstahlRéalisateur : Andres Veiel Genre : DocumentaireNationalité : AllemagneDate de sortie : 22 janvier 2025 En mars 2017, suite au décès de Horst Kettner, le compagnon de Leni Riefenstahl, le patrimoine de la cinéaste devient pour la première fois accessible. Andres Veiel, réalisateur de Beuys...Riefenstahl, portrait d'une artiste coupable