Reveka
de Benjamin Colaux et Christopher Yates
Documentaire
Sorti le 22 février 2017
« Reveka », ce n’est pas qu’une montagne. C’est une entité vénérée et crainte. C’est ce lieu sous-terrain où, quotidiennement, des mineurs creusent plus encore le sol pour y extraire le minerai, où le silence est pesant de présences, où le temps est comme suspendu entre présent, passé et avenir. Ce n’est pas un hasard si les choix de cadrage et d’éclairage dans ces dédales se sont portés sur des plans énigmatiques : ils traduisent ce qui a été partagé avec les mineurs, cette expérience d’un mystique inhérent aux sociétés traditionnellement animistes.
Dans les méandres de ces ténèbres, les mineurs ne sont pas seuls, ils côtoient ces morts dont l’âme s’est retrouvée piégée car, comme on le dit, la montagne « mangeuse d’hommes » ne laisse sortir que les corps quand un accident se produit : comme un tribut à la « Pachamama » (la Terre Mère), la mine garde les âmes en échange des richesses qu’elle octroie. La lorgnette par laquelle il nous est donné à nous spectateurs de percevoir ce qui s’y passe va bien au delà de la simple documentation : c’est une véritable expérience sensorielle dans laquelle nous rentrons. En ce sens, la matérialité étonnement palpable des images donne véritablement l’impression d’y être. En suivant les rails des wagons qui sillonnent cet antre montagneux, les réalisateurs nous font rentrer dans un décor surnaturel où se mêlent la pierre et la poussière mais aussi les corps et les outils, les gestes et les sons, qui se confondant les uns dans les autres tant l’obscurité dévore. « On voulait clairement faire un film à sensation sur comment on peut se sentir à 4500m d’altitude, en pleine poussière, sans pouvoir respirer et avec 6 millions de morts autour de nous », résume Benjamin Colaux dans une interview accordée au magazine.
La force du film réside précisément dans cette volonté de nous faire partager l’expérience quotidienne de ces mineurs dans tout ce qu’elle a de plus concret à travers le fort contraste qui se marque entre leur travail à la mine et leur vie : ces hommes qui se révèlent à la lumière du jour se transforment peu à peu, une fois passée l’entrée du tunnel, en ces silhouettes fantomatiques dont le visage est éclipsé par les lampes frontales. Dans ces bas-fonds et par un étonnant jeu de cadre, ce sont des plans de roches suintantes, des bruits sourds de coups de marteau ou d’explosifs, des souffles courts, des évanescences de lumière qui s’emmêlent et floutent notre perception. C’est à se demander qui sont les fantômes dont il est question : ceux du présent ou ceux du passé. C’est en ce sens que l’image, au-delà de la simple subjectivité des réalisateurs, traduit l’expérience toute concrète et pratique des mineurs vécue jour après jour à la fois dans et en dehors de la mine.
Le film parvient avec une distance très juste à rendre compte de toute l’ambiguïté des sentiments que nourrissent ces hommes à l’égard de la tradition minière, vieille de cinq siècles. En filigrane se dessine une lutte entre l’ontologie occidentale qui pousse le progrès vers l’épuisement des ressources et l’ontologie animiste dont les rapports entre les hommes et l’environnement se base sur la réciprocité du don/contre-don. S’y entrechoquent des exigences et des fidélités contradictoires qui donnent toute leur profondeur à ces hommes dont l’existence s’articule entre la fierté de perpétuer l’héritage et la résignation face à la damnation que leur choix implique.