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    Retour sur deux jours au Bruselas Flamenco BOZAR

    Crédit photo : Beatrix Mexi Molnar photography

    Du 6 au 10 mars, le centre culturel BOZAR accueillait un festival de flamenco mêlant musique, danse et récits. Nous y avons assisté deux jours, l’occasion de faire aujourd’hui un récapitulatif non exhaustif.

    « Le duende n’est pas dans la gorge, il remonte par-dedans depuis la plante des pieds. C’est une  lutte, non une pensée. Ce pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe ne peut expliquer. » Disait Federico Garcia Lorca dans Jeu et théorie du duende pour parler de l’esprit de la douloureuse Espagne qui nourrit sans cesse le flamenco. Cet esprit qui joue avec la vie et la mort, imprenable, a su se faufiler dans le festival.

    A l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, le 8 mars, Bruselas Flamenco Bozar nous présente des talents essentiellement féminins.

    Nous commençons par Antifona, entre la India y Andaloucia, la surprenante rencontre de deux cultures : l’Andalousie de Carmen Fernandez et l’Inde de Madhu Lalbahadoersing. Leurs deux voix mélodieuses et puissantes réussissent à cristalliser, pour révéler le pouvoir de l’autre. Malgré un début plutôt contrôlé et prudent, une belle alchimie se crée rapidement, nous offrant un final encore plus généreux. Les chanteuses sont soutenues par la danseuse Pilar Ogalla, qui vient illustrer, ponctuer ou affirmer leur lyrisme. Dotée d’une longue robe et d’un châle à perte de vue, elle lie la terre et le ciel. Cette journée n’étant pas faite pour exclure les hommes, appelant bien au contraire à leur soutien et à leurs contributions, Ruven Ruppik et Alexander Gavilan les ont accompagnées avec passion au cajón et à la guitare.

    La danseuse et chorégraphe Rafaela Carrasco nous présente ensuite la pièce phare de ce festival, sa nouvelle création Nacida sombra. Elle est accompagnée de Florencia O’Ryan Xuniga, Paula Comitre Juez et Blanca Lorente, trois fabuleuses danseuses aux cheveux si longs venues exprimer la solitude, la révolte, l’exclusion et l’indépendance. Leurs bras s’arrondissent sous le poids de la lumière tandis que le rouge s’embrase sur les blancs. La dramaturgie construite en quatre temps qui symbolisent les cycles lunaires, se déroule sur les mots des poétesses Teresa de Jesús, María de Zayas, María Calderón et Juana Inés de la Cruz. Le récit commence avec une lettre adressée aux « femmes en devenir », un voyage pour se souvenir, comprendre qui étaient nos ancêtres et leurs rendre hommage. Les danseuses puisent dans leurs forces et leurs intelligences pour créer une pièce d’une poésie rare, grâce à la souplesse du mouvement contemporain et la force du flamenco. Les mélodies de Jesús Torres Juan Alhama et Antonio Suarez García et la voix d’Antonio Campos Muñoz, les portent tout le long. Sa voix poignante se lie au bras et aux pieds des danseuses, pour venir remuer au plus profond de notre âme. La danse de l’histoire embrasse le présent et l’amour.

    Le 9 mars, le thème choisi pour la journée est « Les dynasties du flamenco » et propose un focus sur les familles traditionnelles de cet art.

    A l’honneur, la famille Moneo de Jerez de la Frontera composée de sept hommes et deux femmes (dont une âgée d’à peine huit ans). Quelques problèmes de son au départ lancent étonnamment la couleur mettant en lumière la concentration et la solidarité dont les interprètes font preuve pour s’adapter au plus juste les uns aux autres. Luis, Manuel et Momo Moneo sont au cœur de la magie, leurs voix profondes et métalliques transpercent la scène et le spectateur. Avec eux deux hommes aux palmas et trois danseurs, c’est une famille riche de talents qui nous offre un morceau de son histoire avec tant de générosité. Pepe Torres fait vibrer le caractère du flamenco dans son aisance. Les générations échangent, apprenant des précédentes pour transmettre à leur tour. Se dévoile face à nous un portrait de transmission ancré dans la solidarité du sang et de l’amour pour le flamenco. Débordant de joie, on nous offre des rythmes qui rejaillissent sur notre poitrine. Les voix viennent te chercher dans le ventre, où le duende danse. La plus jeune danse sans se défiler devant l’histoire de ses ancêtres, le plus vieux regarde comme un enfant. La mère, le père, le frère, c’est l’émotion d’une famille entière réunie au service d’un art et d’une culture.

    L’énergie est à son comble quand nous enchaînons rapidement avec le chanteur moderne de flamenco, Kiki Morente, venu interpréter quelques morceaux de son nouvel album Albayzín. On perçoit très vite le perfectionniste, la rigueur du travail et la volonté de ce jeune artiste. Il est accompagné d’as de leurs disciplines : le guitariste David Carmona, la danseuse Ire Gato et le magicien du cajón Pedro Gabarre. Kiki Morente est une voix puissante qui ne se fatigue pas, qui lie l’histoire du flamenco à la douceur d’une musicalité plus moderne. Un quatuor phénoménal d’une précision au couteau qui laisse chaque talent se dévoiler dans un moment solo. Tout de noir vêtue, la danseuse est incroyable, arborant une posture à couper le souffle. Infaillible, droite laissant ses tacones faire trembler le sol et réveiller les morts. L’homme au cajón réussit à donner vie à cet unique objet tandis que le guitariste contrebalance de sa tendresse.

    Pour fêter la fin de cette nouvelle saison, nous accueillons le grand danseur de flamenco Joaquin Grilo. Alors qu’il a dansé avec les plus grands tel que Paco de Lucia et Cristobal Reyes, il est venu nous présenter sa propre création La calle de mis sueños dans grande salle de BOZAR. Nous pénétrons tout de suite dans un étrange univers scénique composé d’un échafaudage, de lumières claquantes, d’un son de batteries tonitruant, soit le parfait attirail d’un show télévisuel. Le danseur enfile différents personnages, passant d’un pantin surréaliste à Michael Jackson ou encore à un Roméo tout droit sorti d’une telenovela, constamment en train de surjouer des caractères stéréotypés et antipathiques. Nous peinons à y voir un sens, forcés de constater que nous assistons à un véritable ego trip sans la moindre clé de compréhension. La dramaturgie ainsi que les costumes sont de mauvais goût, dans une surenchère constante. Joaquin Grilo réussit même à rendre misogyne cette danse de caractère et de force en déambulant supérieurement entre les podiums où dansent sensuellement « ses choristes ». Etait-ce un désir de dénoncer une certaine société de consommation en ridiculisant le flamenco ? L’interrogation sur son choix, ce qu’il a voulu raconter et montrer, n’est toujours pas résolue.

    Si le dernier spectacle a clôt ce festival sur une fin terriblement mitigée, vivre ces deux jours de flamenco intensifs fut à la fois émouvant et revitalisant. Nous garderons longtemps le souvenir de Nacida Sombra ou encore de la famille Moneo. C’est avec hâte que nous attendons la prochaine saison.

    Luna Luz Deshayes
    Luna Luz Deshayes
    Journaliste du Suricate Magazine

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