Il vient de sortir Puzzle, son troisième album. Barcella était à Bruxelles la semaine passée pour nous parler de ce nouveau disque et de sa venue le 11 octobre au festival FancoFaune aux côtés de Saule, Antoine Chance, Marie Warnant et bien d’autres.
Bonjour, Barcella.
Merci de nous accorder cet interview.
Vous venez de sortir Puzzle, votre troisième album. Ce qui attire tout de suite le regard, c’est cette pochette qui est très différente des deux précédentes. Sur la photo, on vous voit avec des plumes sur le dos. un peu comme si vous étiez un drôle d’oiseau.
Est-ce ainsi que vous vous voyez dans le monde musical?
Oui, c’est exactement ça! C’est ce que l’on a essayé de retranscrire avec The Judge, qui est l’artiste suisse avec qui j’ai collaboré sur cette pochette.
La poésie de l’image est aussi quelque chose qui me touche beaucoup, donc j’aime travailler avec quelqu’un de différent à chaque fois. Le puzzle c’était cette idée de ne jamais regarder un tableau au pied du mur. Et donc, on peut prendre du recul pour comprendre les aspérités d’un dessin.
Et comme cela fait trois albums que j’emmène les gens avec moi et mes musiciens dans mon univers, on commence à en comprendre les contours et la logique. Je ne m’interdis rien, je continue à travailler dans des registres différents et à mener mon exploration.
Et donc, c’est ce qui s’est passé ici, j’ai eu cette sensation (d’abord dans la presse) d’être comme un drôle d’oiseau car on avait du mal à me ranger dans une case. J’ai d’ailleurs souvent été classé dans les atypiques de la chanson française, ce qui était une bonne chose pour moi car cela témoignait de la naissance d’une identité .
Donc, l’idée de la légèreté de l’oiseau et des plumes par rapport à l’écriture était une idée qui me plaisait beaucoup. Voilà donc pourquoi nous avons fait cette pochette ensemble.
Toutes les photos ont été travaillées dans cet univers. On prend une photo en studio, puis elle incruste des choses en peignant sur la photo et ça donne ce résultat particulier.
Ca ramène à la réalité de nos vies et à l’espoir que l’on peut avoir dans nos imaginaires. Donc, cela donne un genre de Peter Pan affranchi qui essaie de vivre avec plus de légèreté.
Pouvez-vous me parler un peu de votre démarche artistique sur cet album?
Ma démarche, c’est d’être là où on ne m’attend pas. L’album précédent avait rencontré un certain succès et nous avait permis de faire une tournée à travers l’Europe. Cependant, je n’avais pas forcément envie de surfer sur la même vague. J’aime prendre des risques. Ici, j’ai fais un album plus urbain avec des métriques différentes, des sonorités plus modernes. On est très loin de La Boite à Musique que j’avais fais il y a quelques années. Dans cet album, j’avais mis plus d’accordéons, etc…
J’étais très content de cet album. Charabia était un album plutôt chanson française qui avait déjà plus d’ambitions sonores.
Et là, sur cet album, j’ai le sentiment d’avoir trouvé un son « barcellien ». Il aura fallu trois albums pour y arriver. C’est à mi-chemin entre les chansons qui m’ont bercé durant l’enfance, les textes d’auteur et ces mélodies qui me bouleversent depuis que je suis petit.
Donc je suis heureux d’arriver avec ce puzzle et ses onze titres.
Au niveau de vos textes, où trouvez-vous votre inspiration?
Je vais souvent me nourrir des rencontres que je fais sur la route. Via cette aventure, j’ai la chance de pouvoir voyager beaucoup. Je suis allé en Belgique, en France, en Suisse. Je suis passé par l’Algérie, les Etats-Unis. Je travaille aussi en prison, les écoles, les collèges où je fais des ateliers d’écriture. Le fait de me nourrir de toutes ces sensibilités donne des couleurs particulières à ma palette. Et donc, je vais être davantage curieux et je vais avoir envie d’aller là où je ne suis jamais allé. Je continue à m’intéresser à l’humanité dans ce qu’elle a de global. J’ai pas de télévision parce que j’aime me faire mon avis par moi-même et donc construire ce puzzle, ce tableau. Toutes ces rencontres amènent des mots et des mélodies qui passent par dessus.
Justement, vous parliez de l’étranger. Comment est-ce que votre travail est perçu en dehors des frontières françaises?
Disons qu’en francophonie, en général, cela se passe bien. Certes, on a pas forcément la même vision ou perception de choses, mais globalement, c’est assez identique d’un pays à l’autre. Par contre, lorsque je suis allé aux Etats-Unis, les mots ne sont pas toujours compréhensibles par le public. Parfois, ça ne passe pas. Et donc, tu dois te recentrer sur ta musique et sur tes mélodies. Pour le coup, la chanson française telle qu’on la connait (où la mélodie va être plus simpliste et où l’on va se concentrer sur le texte), va peut-être moins bien passer du fait que l’on va passer à côté du texte et donc de ce que veut dire le chanteur. Donc, cela m’a amené à retravailler les mélodies et la musicalité de mon univers. Chose que je faisais déjà avec beaucoup de plaisir, mais cela m’a donné envie de pousser plus loin. Ca s’est fait par des rencontres musicales, de la révisions des bases sur la logique de la musique. J’ai donc essayé d’affiner ma musicalité.
Il est vrai que cet album est aussi très pertinent de par les univers musicaux et les sons que l’on y retrouve..
Oui, c’est vrai que j’ai essayer de varier un maximum. Je suis un fan de Brassens, par exemple. Mais si tu écoutes sa musique, tu te rends vite compte qu’il avait des mélodies fort intéressantes mais toujours la même métrique. Brel, lui, travaillait sur des choses beaucoup plus diversifiées. On était sur des valses, des morceaux à quatre temps, à cinq temps. Il y a des choses très particulières.
Et donc, quand j’en ai eu marre de faire des morceaux à quatre temps (car je trouvais cela trop simple au niveau de l’écriture et que cette méthode commençait à montrer ses limites), j’ai commencé à essayer d’autres choses en voyageant. J’ai ainsi appris le picking à la guitare lors de mon passage en Amérique. Cela m’a permis de donner du relief à mon jeu.
C’est un peu comme en cuisine. Si tu regardes le travail d’un chef, il a dû aller chercher les ingrédients de sa cuisine. Il a dû savoir quand ils poussaient, pourquoi utiliser tel ingrédient plutôt qu’un autre,…
Tout cela est réfléchis. Donc on essaie de faire la même chose en construisant cela méticuleusement avec beaucoup de patience et de tendresse.
Vous serez le 11 octobre au festival Franco Faune, qui prône la biodiversité musicale. Est-ce que vous pensez que le monde musical souffre d’un manque de biodiversité et de ce formatage dont on entend souvent parler?
Médiatiquement, sans doute. Car on a cette tendance à ne plus prendre de risques sur les radios qui sont régies par le monde de l’économie. Et en réalité, il n’y a jamais eu autant d’offre et de diversité pour qui souhaite faire son propre chemin culturel. C’est exactement comme en cuisine, il faut que ta curiosité t’amène à aller chercher les ingrédients dont tu as besoin. Tu peux te faire des pâtes toute ta vie (tout en sachant qu’il existe d’autres ingrédients). Mais à un moment, tu peux décider de manger varier. Tu vas sortir des grandes surfaces, tu vas aller chez l’épicier du coin, etc..
Tes courses vont prendre un peu plus de temps, mais ta cuisine va avoir un autre relief et tu vas vivre autrement avec des saveurs plus variées. Et en musique, c’est pareil. L’industrie du disque est un peu comme un supermarché auditif. Ce qui n’est pas un mal car il faut se réjouir d’avoir un vecteur qui distribue de la musique pour des gens qui n’ont pas nourrit l’ambition d’en apprendre plus. C’est déjà bien qu’il y ait de la musique dans la vie de chacun.
Mais pour moi, le fait qu’il existe tous ces sites internet, ces réseaux, tous ces groupes qui se créent font qu’il y a bien une diversité musicale qui existe. Mais celle-ci doit être poussée au travers d’évènements comme le festival Franco Faune.
On empêchera jamais quelqu’un de creuser et de découvrir d’autres artistes. Mais la façon dont cela se fait est parfois un peu déroutante. Vas dire à un boulanger qu’en lui donnant dix cents par mois, tu vas pouvoir aller chez lui pour chercher du pain quand tu veux, il va te regarder bizarrement. (rires)
Et il est vrai que cela aussi tue un peu le métier. Je parles bien-sûr des petits artisans qui ne vendent pas les 5000 disques qu’ils auraient dû vendre. C’est pas beaucoup, mais ça permet de faire des économies et de faire peut-être une petite tournée, etc.. Tout renvoi à la curiosité des gens et leur envie d’aller chercher l’information.
Dans cet album, on retrouve aussi des collaborations, notamment avec Emilie Loiseau.
Comment s’est passé cette collaboration?
Emilie et moi, on se connait depuis plusieurs années. On s’est rencontré lors d’un festival et on s’est trouvé des affinités. Donc je l’ai invitée sur cet album car je suis très sensible à sa plume. Et puis, elle a cette volonté de se positionner dans la chanson française comme une identité à part. Elle joue du piano debout, elle a un timbre de voix reconnaissable entre mille, une écriture entre ses origines anglo-saxonnes et françaises. Elle exploite toujours des choses différentes. Icic, par exemple, elle a chanté dans une tonalité qui est plus basse que celles qu’elle chante habituellement. Cela lui donne davantage de sensualité et je suis vraiment ravi qu’elle ait accepté.
Vous avez donc fait trois albums studio. Est-ce que vous pensez à sortir un jour un album live?
C’est une grande envie, en effet. Je vis par et pour la scène depuis huit ans et donc cela serait assez logique pour moi. Mais étant donné la fragilité économique actuelle, je ne peux imposer cela à ma maison de disque. Il faudrait qu’un album marche mieux pour que ce soit légitime.
Pour moi, mon projet n’est pas encore assez rentable pour un tel projet. Il faut garder en tête que l’économie du disque est fragile et que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. C’est important de sensibiliser les artistes par rapport à cela.
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