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    Rencontre avec Reda Kateb

    Avec comme point de départ une nouvelle de Camus, Loin des hommes nous emmène dans le désert, à la croisée des destins de Daru, un pied-noir espagnol, et de Mohamed, un paysan algérien accusé de meurtre. Rencontre avec Reda Kateb, l’acteur qui incarne Mohamed.

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    Connaissiez-vous bien Camus avant de tourner Loin des hommes ?

    C’est un écrivain qui me parlait, mais que j’avais plutôt lu au lycée. J’avais aussi lu de ses textes sur France Inter avec Guillaume Gallienne : on avait fait ensemble une émission sur Camus. Je connaissais donc déjà L’exil et le royaume mais je ne m’étais pas fixé sur la nouvelle de « L’hôte ». Ce n’est qu’après avoir pris connaissance du scénario que je l’ai relue et j’ai trouvé celui-ci très fidèle à la nouvelle de Camus, en tout cas à ce que j’en avais ressenti.

    Est-ce que l’origine algérienne de votre père vous a porté vers ce film ?

    Oui je pense. En tout cas, cela a apporté une forte charge affective pour moi. Après, je voulais, si par hasard un homme des campagnes se retrouvait à voir ce film, qu’il se sente représenté. Je voulais être crédible dans ce rôle qui est tellement différent de moi et de la vie que je peux avoir ici.

    « L’Arabe » de la nouvelle devient Mohamed dans le film, un individu avec une histoire complexe. Comment était-ce de donner vie à ce nouveau personnage ?

    Le film est un mélange de Camus et de David Oelhoffen, plus précisément de ce que David a voulu tirer de cette histoire et de ce qu’on peut en raconter aujourd’hui sans faire uniquement un film historique, mais aussi en racontant quelque chose de tout temps, quelque chose de nécessaire à mes yeux. Il y avait l’idée de placer ces personnages sur un pied d’égalité, de faire que la rencontre arrive conjointement, des deux côtés. Cela diffère de la nouvelle où le personnage de l’Arabe est beaucoup plus jeune, ce qui aurait pu induire du paternalisme dans la bienveillance de Daru, dans son rapport à l’autre. Là finalement, l’autre, l’altérité, elle est des deux côtés. Au lieu d’adopter le point de vue de Daru et de regarder l’Arabe comme l’étranger, chacun est l’autre pour le personnage en face de lui.

    Comment s’est passée la direction d’acteurs sous David Oelhoffen ?

    C’était un mélange de directives et de beaucoup de liberté. David était très à l’écoute de nos propositions, ensuite il tranchait. Parfois il prenait des choses, d’autres fois il tenait à quelque chose dont il était le seul à avoir l’intuition. Mais nous, c’était notre rôle de proposer, de remettre en cause, de chercher. On était dans une triangulation, David, Viggo et moi où pour quasiment chaque scène, chaque geste, chaque mot, on se posait la question : est-ce qu’on le remplace par un silence ? Est-ce qu’on remplace ce geste par un mot ? Cela pour quelquefois revenir à la proposition initiale, parce que c’est celle-là qu’on aimait. Il faut toujours contredire les premières idées.

    Il y a trois étapes d’écriture pour un film : le scénario, le tournage et le montage ; le tournage est une réécriture. J’aime travailler avec des réalisateurs qui ont conscience de ça. Je ne me vois pas jouer dans des films pour mettre en boîte des scénarios, ce n’est pas intéressant. Un scénario c’est une feuille de route, la proposition d’un voyage et dans les beaux voyages on trouve toujours autre chose que ce que l’on était venu chercher.

    Stitched Panorama

    Comment était-ce de jouer avec Viggo Mortensen ?

    C’était très stimulant. Dans le film on se découvre couche après couche ; chaque petit signe compte… Mais des signes qui ne sont pas forcément des signes de langage : des gestes, des attitudes, etc. C’était un peu la même chose avec Viggo. Lui et moi nous nous sommes découverts l’un à l’autre à travers le tournage, à travers la marche, à travers 12 heures par jour dans cette nature incroyable.

    Pour ce film Viggo Mortensen a étudié l’arabe. S’en est-il bien sorti ?

    Oui, l’arabe et le français aussi. Il s’en est bien sorti. C’est dur de juger, car moi non plus je ne parle pas couramment arabe, ce n’est pas une langue qui m’a été transmise par mes parents, donc j’ai aussi dû beaucoup travailler. Mais c’est une langue qui malgré tout est en moi et que j’ai plus eu à réveiller qu’à apprendre, je ne partais pas de rien. Par exemple, je n’ai pas de problème de prononciation.

    Le film contient assez peu de dialogues au début du film. Pour un acteur, est-ce un défi ou une chance de développer son jeu sans se reposer sur le langage ?

    C’est très gai. La parole dans le jeu de l’acteur c’est juste une petite partie et c’est souvent un véhicule sur lequel on peut se raccrocher, mais ce n’est pas forcément une bonne chose de se réconforter avec quelque chose de palpable. Le rapport à la langue pour ces personnages n’est pas évident. Il y a donc quelque chose de presque musical sur le rapport du souffle et des notes qui sont émises par la voix, plutôt qu’un recours au sens des mots. C’est une vibration et c’était assez riche à explorer.

    L’alternance entre l’arabe et le français donne d’ailleurs un effet très réel.

    En Algérie c’est ce que les gens font : ils mettent beaucoup de français dans leurs phrases en arabe. Tout est très mélangé. Dans le rapport entre nos deux personnages, au début la langue sert à dire « je suis différent de toi ». L’un dit quelque chose en français à l’autre, et l’autre lui répond en arabe, et inversement. Comme si finalement, c’était à chaque fois une manière de marquer sa différence, jusqu’au moment où les langues se mêlent et où les personnages se rencontrent vraiment.

    Daru et Mohamed occupent une position médiane au milieu de camps antagonistes. était-ce important pour vous de rendre une vision intermédiaire et humaniste du conflit ?

    Le cinéma n’est pas là pour être partisan ou pour porter le discours d’un camp. Ramener à l’humain c’est la vocation du cinéma ; poser le focus sur des petites histoires au milieu de la grande histoire, c’est le rôle de l’outil caméra.

    Les vagues de l’histoire emportent tout et créent des injustices. Quand bien même le changement historique est juste – la libération de l’Algérie, la fin du colonialisme, c’était une chose nécessaire et absolument inéluctable – il y a des injustices. De pouvoir les raconter, ce n’est pas remettre en cause la nécessité de la décolonisation, au contraire, c’est ramener les choses à l’humain. Je suis solidaire de cette dynamique.

    Vous apparaissez pour le moment dans deux films aux États-Unis (Zero Dark Thirty et Lost River). Souhaitez-vous développer votre carrière outre-Atlantique ou évoluez-vous selon les opportunités ?

    C’est en fonction des histoires, des scénarios, des rôles. J’ai eu l’envie d’ouvrir mon parcours – je n’aime pas trop le mot « carrière » – vers le monde, vers d’autres territoires. Je n’ai pas le rêve américain en tête, mais il se trouve qu’aux états-Unis il y a une industrie énorme, donc il y a beaucoup de choses qui se font et des choses parfois vraiment intéressantes, notamment dans le cinéma indépendant. Je n’ai pas envie d’orienter mon parcours vers un endroit ou un autre, si ce n’est vers des histoires que j’ai envie de défendre, des scénarios que je choisis et des projets dans lesquels je vais pouvoir me surprendre et me dépasser.

    Êtes-vous satisfait de la réception de Loin des hommes ?

    Oui. On a présenté le film à Venise, Toronto, Londres, Alger, Marrakech et aujourd’hui ici, à Bruxelles. Les échanges avec les gens sont toujours très riches. J’en suis content parce que, par exemple, Toronto a un public plus américain, des gens qui ne connaissent pas forcément l’histoire de la guerre d’Algérie. Or, ils étaient réceptifs au film, sans avoir les filtres de lecture historique que nous avons ici. Pour eux c’est assez exotique et en même temps actuel.

    Cela revient souvent cette idée que le film pourrait avoir lieu à Gaza, en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, dans plein d’endroits où finalement les hommes sont pris par ces vagues de l’histoire.

    Propos recueillis par Elodie Mertz

    Crédits photos ©Michael Crotto

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