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    Le Redoutable, Godard désacralisé

    Le Redoutable

    de Michel Hazanavicius

    Comédie, biopic

    Avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Micha Lescot, Grégory Gadebois

    Sorti le 13 septembre 2017

    Après y avoir connu le succès démesuré pour The Artist, puis l’opprobre tout aussi démesurée pour son film suivant, The Search – un drame de guerre trop long, trop explicatif, trop manipulateur – le cinéaste français Michel Hazanavicius est revenu au Festival de Cannes cette année en tendant pratiquement le bâton pour se faire battre, avec un film sur Jean-Luc Godard, dont les premières images faisaient furieusement penser à un sketch de Canal+ dans lequel Louis Garrel parodiait Godard de manière désinvolte, avec moult zozotements et regards caméras. S’il est vrai qu’il faut dépasser cet a priori concernant le « singeage » de l’image publique de Godard par un comédien – Hazanavicius fait d’ailleurs dire à Louis Garrel que les acteurs sont des singes même pas savants, prêts à dire et faire tout ce qu’on leur demande –, le film évite au final la caricature tant redoutée, de par le regard porté par Hazanavicius sur son aîné, ainsi que par sa façon « désacralisante » d’aborder la cinéphilie. Bien entendu, un tel film ne peut que se créer d’emblée de farouches opposants, tant son projet même est en total décalage avec une certaine conception élitaire de la cinéphilie en France, mais si l’on prend le temps de voir le film en regard de ses ambitions et de la filmographie de son cinéaste, il est bien plus intéressant que certains préjugés ou certains analystes patentés ont bien voulu nous le faire croire.

    En adaptant le livre d’Anne Wiazemsky, Un an après, Hazanavicius concentre son film sur une période bien précise de la vie et de la carrière de Godard, à savoir le moment où, suite à l’échec critique et public de son film « révolutionnaire » La Chinoise, le cinéaste est emporté par la frénésie de mai 68 et de ses idéaux maoïstes, l’amenant à reconsidérer complètement son mode de vie et surtout le mode de production et de fabrication de ses films, jusqu’à rejeter en bloc l’entièreté de sa propre œuvre. S’acheminant doucement vers la création du groupe Dziga Vertov suite à sa rencontre avec le journaliste Jean-Pierre Gorin – lequel prône la réalisation de films en collectivité et selon un principe démocratique –, Godard en vient à délaisser son amour du moment, la jeune Anne Wiazemsky, qu’il avait découverte et filmée à l’occasion de La Chinoise. Vue par le prisme du regard de la jeune femme, la remise en question de Godard par rapport à ses convictions et à son art prend des allures de farce kafkaïenne, tant Wiazemsky a du mal à suivre cet homme qu’elle aime dans ses atermoiements et ses questionnements intellectuels parfois très théoriques. Le film épouse d’ailleurs complètement son point de vue et finit par faire de Godard un pantin à la limite du ridicule, jusqu’à le rendre prisonnier de son propre univers filmique. Alors qu’il essaie de se défaire de l’image de cinéaste qui lui est accolée et des images qu’il a précédemment filmées, Hazanavicius n’a de cesse de le replonger dans cet imaginaire cinéphilique, en lui faisant rejouer, de manière assez perverse, des scènes de ses films – notamment la fameuse scène des livres issues d’Une femme est une femme.

    Cet appel aux références cinéphiliques et à tout un lexique audiovisuel de la Nouvelle Vague est utilisé un peu comme un gimmick mais de manière assez bien digérée, pas forcément systématique. L’hommage pourrait apparaître comme un brin naïf, et il l’est forcément un petit peu, mais il participe de cette dialectique qu’installe le film entre une réelle admiration pour son sujet et une certaine irrévérence – quoique tout de même contrôlée – vis-à-vis du « monument » Godard. Car s’il ne fait aucun doute qu’Hazanavicius aime Godard cinéaste – ne serait-ce que par cette façon presque fétichiste de recréer des images –, il n’hésite également pas à le bousculer de toutes les manières possibles et imaginables : renversé et piétiné dans les manifestations de mai 68, hué et chahuté lors de meetings des étudiants communistes, ou encore à travers sa paire de lunettes, cassée à de nombreuses reprises. De là à ce que l’on puisse dire que le film utilise cette image des lunettes brisées pour remettre en question l’œil du cinéaste et le regard qu’il porte sur son art, il n’y a qu’un pas qui peut aisément être franchi. Mais, sans déboulonner la statue du commandeur pour autant, Hazanavicius utilise surtout le personnage de Jean-Luc Godard pour appuyer le projet qui est le sien depuis ses débuts et ses détournements pour la télévision (Derrick contre Superman, Ça détourne, La Classe américaine) – puis continué à grande échelle avec The Artist – : rendre la cinéphilie accessible à tous en la désacralisant. Tout comme Godard veut désacraliser le cinéma en crachant sur toute la première partie de son œuvre et en renonçant à son orgueil d’auteur au profit du collectif, Hazanavicius semble vouloir se détacher de tout « auteurisme » et appuie sa conception « dédramatisante » du cinéma, de sa pratique, et de sa réception. C’est paradoxalement par cette vision, pas si courante que cela dans un cinéma dépassant tout de même le pur divertissement au premier degré, qu’il gagne une singularité, et peut-être même un véritable point de vue d’auteur.

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