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    Red Army de Gabe Polsky

    red army affiche

    Red Army

    de Gabe Polsky

    Documentaire, Historique

    Avec Scotty Bowman, Slavia Fetisov, Viacheslav « Slava » Fetisov

    Sorti le 27 mai 2015

    Vous n’avez que faire du hockey et l’idée de regarder s’entraîner des Soviétiques dans des salles sinistres en pleine guerre froide vous glace d’emblée ? Remisez vos idées reçues au placard : Red Army est un documentaire absolument passionnant.

    Gabe Polsky raconte l’épopée, digne d’un roman russe comme il aime à le dire, de la Red Army, l’équipe de hockey sur glace d’Union Soviétique, entre la fin des années septante et la fin des années nonante. Les images d’archives croisent les témoignages, ceux de Slava Fetisov, capitaine mythique et figure centrale du film, mais aussi ceux d’autres joueurs, de journalistes, spécialistes du sport ou agents du KGB. À travers le parcours des héros d’une équipe d’exception, le film parvient à articuler, avec un sens aigu du rythme et de l’équilibre, le documentaire historique et le récit personnel. Polsky est également à l’aise sur chacun de ces plans, dont il saisit les multiples enjeux avec finesse.

    Red Army est d’abord une plongée captivante dans la géopolitique du sport pendant la guerre froide : il décrit bien sûr la manière dont le hockey est mis au service de la propagande et du patriotisme, mais parvient surtout à montrer le rapport ambigu qu’entretiennent ces enfants du régime à un système qui les érige en héros, quitte à les broyer. Le sport apparaît comme le produit d’une idéologie confrontée au libéralisme d’un sport de plus en plus mondialisé, au fur et à mesure du déclin de l’URSS.

    Le film explore aussi la construction d’un mythe. Il faut voir ces Russes, formés aussi bien aux méthodes psychologiques préconisées par le joueur d’échecs Karpov qu’aux techniques du ballet, tourbillonner sur la glace avec une grâce et un sens collectif qui hissent le hockey au rang d’art chorégraphique. C’est simple : quand le réalisateur, nourri au hockey des États-Unis, a découvert adolescent les images de la Red Army, « c’est comme s’il avait mangé toute sa vie au McDo » et qu’un nouveau monde s’ouvrait à lui. Mais cette fascination n’empêche pas Polsky de mettre en avant l’énorme pression qui pesait sur ces joueurs, dont la jeunesse a été dévorée par la Red Army.

    Comment, entre les mythes, se forger un itinéraire à soi ? Comment s’en tirer sans trahir les siens ou sa patrie, quand on se rend compte que l’on est avant tout un pion au service d’une architecture qui vous dépasse – et qui détient le pouvoir de vous écraser ? Comment s’en sortent les étoiles soviétiques, quand il n’y a plus d’Union Soviétique ?

    C’est là que Red Army réussit un tour de force : sans tomber dans le portrait hagiographique ou dans le jugement ou dans le sentimentalisme, il donne toute la place à la mémoire et à la parole de ces jeunes gens, ces Fetisov, ces Kasatonov, ces Makarov, oscillant entre nostalgie et amertume, révolte et résignation, amour de la nation et désillusion. Des jeunes gens devenus hommes murs, rugueux, pas sympathiques, pas lisses, pas polis même, et surtout pas portés à l’épanchement. Des jeunes gens élevés dans la grandeur d’un pays disparu, échoués en Amérique, exilés, revenus au pays, qui donnent l’impression, même parvenus au sommet, d’avoir perdu quelque chose. Des jeunes gens programmés pour les grands récits et pour les destins collectifs, alors que les destins collectifs s’effritent. Polsky capte toute cette matière humaine, ambigüe, bouillonnante, avec un mélange de retenue et de perspicacité qui, au lieu de donner des réponses, laisse le dernier mot aux silences et aux regards. Comme celui que jette, agacé, un ancien joueur à Polsky, quand il essaie d’en savoir un peu plus sur la personnalité d’un de ses anciens coéquipiers : « C’est quoi, cette question ? Je vous l’ai dit : on était pareil, on était tous pareil. »

    Dans les petits riens de l’échange entre le cinéaste et ceux qui l’observent, surgit ainsi l’ombre de drames plus vastes et pas tout à fait éteints. Polsky sait les voir et les communiquer, avec une intelligence et une attention rares.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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