Titre : Qu’est-ce qu’une espèce ?
Auteur.ice : Meredith Root-Bernstein
Edition : Humensciences
Date de parution : 08 janvier 2025
Genre du livre : Livre scientifique
Meredith Root-Bernstein édite ce premier livre chez humenSciences. Elle revient sur un présupposé qu’on ne questionne peut-être pas assez : nos catégories de classes d’êtres vivants, qu’on subdivise en espèces, sous-espèces, hybrides et autres. En fait, et sans surprise, Root-Bernstein explique à quel point cette manière de faire le tri est culturelle et que ces espèces ne sont pas figées dans la pierre, loin de là.
Quand j’ai eu fini de lire cet ouvrage, j’ai voulu en savoir plus sur Meredith Root-Bernstein, que je pensais être une illustre scientifique avec de nombreux livres derrière elle. Je n’ai pas dû faire de recherches très poussées pour découvrir d’abord que cette femme a l’air d’avoir plus ou moins dans la trentaine. Son curriculum vitae de 17 pages est disponible publiquement, avec des dizaines d’articles académiques déjà publiés et une carrière qui passe des USA à l’Angleterre, du Chili à la France. Meredith Root-Bernstein est une badass scientifique et une sacrée tête, dont l’avenir académique, ou autre, sera radieux je l’espère (et je présume).
Le premier chapitre, « L’unité de la nature » fait d’abord peur. Il faut savoir que ce livre m’intéressait pour deux raisons : la couverture était magnifique et l’idée d’approcher la notion d’espèce de manière culturelle était intrigante. Je ne suis pas un scientifique et mon passé scolaire en physique et biologie n’est pas des plus brillants. « L’unité de la nature » fait donc peur parce que Root-Bernstein est obligée de passer par les bases, que je pense avoir saisi sur le moment mais que je ne suis pas capable de vous expliquer. Cela passe par Darwin, les plantes « hétérostyles », la convergence évolutive, l’étude de la spéciation, etc.
Et pourtant, si je ne suis pas capable d’expliquer ce contenu sans l’avoir étudié ou relu une dizaine de fois, il est très compréhensible. Meredith Root-Bernstein est une vulgarisatrice hors-pair et en plus, elle est drôle. Ce qui est assez surprenant et rare à souligner, car ce livre a beau être très scientifique et bien rationnel, de manière très inattendue, l’autrice fait de l’humour (grinçant ou ironique), qui est d’autant plus drôle qu’il sort de nulle part, traitant d’un sujet à priori peu propice à se fendre la poire. Qu’est-ce qu’une espèce ? ne passerait sans doute pas les contrôles pour devenir un ouvrage académique, ce qui tombe bien vu qu’il n’a pas la prétention de l’être, malgré le fait qu’il soit très rigoureux sur le plan scientifique, la bibliographie d’une dizaine de pages à l’appui à la fin étant là pour nous le prouver.
Dès le chapitre deux, « un concept à l’épreuve de l’ethnobiologie », l’autrice en vient aux ressources culturelles et au manière d’appeler et de catégoriser des animaux différemment qu’en Occident. Son questionnement en devient alors essentiel et passionnant. Que faire des morts et des esprits, qui représentent une catégorie à part entière dans certaines tribus ? Comment les classer dans notre typologie ? Dans le débat sur la restauration de certains animaux et pas d’autres, et donc de certaines espèces et pas d’autres, que faire des espèces hybrides, tout à fait naturelles, se transformant au contact de leurs environnements, de membres de leurs espèces ou d’autres espèces ? « Quels êtres vivants allons-nous laisser entrer dans nos sociétés et dans nos idées de la nature, et à quel degré ou de quelle manière ? » écrit-elle.
Elle termine en militant (parce que Meredith Root-Bernstein est une sorte de militante scientifique) contre l’idée de réhabiliter les espèces une par une, comme déconnectées de leur environnement. Elle ne souhaite pas que notre concept de science soit considéré comme plus évolué que d’autres. Il faut ouvrir nos idées cartésiennes et occidentales de la nature pour penser la coexistence entre espèces, hybrides, variétés, pour réfléchir à comment les animaux catégorisent eux-mêmes les êtres vivants, et introduire dans nos vies la vie des esprits, car et je vais la laisser conclure, « même après sa disparition, (chaque espèce) laisse en legs l’empreinte de ses interactions avec les autres espèces et avec son écosystème ».