Titre : Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes
Autrice : Lionel Shriver
Éditeur : Belfond
Date de parution : 19 août 2021
Genre : Roman
Plus d’un an après sa publication en anglais, voici enfin la traduction française du dernier roman de Lionel Shriver, l’autrice de l’inoubliable Il faut qu’on parle de Kevin. Dans Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, elle aborde le culte du corps et la peur de vieillir avec le style ironique et incisif qui la caractérise.
Un couple à la dérive
Lionel Shriver a désormais dépassé la soixantaine. C’est aussi le cas des deux personnages principaux de son roman : Serenata et son mari Remington. Leur couple, jusque-là uni et complice, menace de se fissurer quand Remington, forcé de prendre sa retraite de manière anticipée, décide de courir un marathon. Mais d’où vient donc cette motivation soudaine alors que Serenata, la plus sportive des deux, souffre d’une maladie du genoux qui menace de restreindre considérablement ses déplacements ?
À travers une intrigue qui va crescendo au fur et à mesure des exploits sportifs de Remington, Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes soulève de nombreuses questions dérangeantes sur le couple, la vieillesse, le rapport au corps, l’obsession de la performance sportive, la minceur, ou encore les inégalités sociales et raciales. Le personnage de Serenata, d’abord condescendent et franchement irascible, se transforme peu à peu lorsque celle-ci est confrontée à la peur de la maladie et de l’abandon. La dynamique du couple évolue de manière parallèle, comme un miroir qui menace de renverser les rôles. Le roman offre ainsi une source de réflexion très intéressante sur les sentiments à l’épreuve du temps et sur la concurrence implicite qui peut exister entre les deux membres d’un couple.
La dictature du corps…
Toutefois, Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes est avant tout une satire du fanatisme sportif et de la culture de la performance physique. À l’heure des smartwatches et autres Fitbits, Shriver laisse entrevoir les dérives de notre tendance à vouloir tout mesurer et dénonce le mythe de l’absence de limites (« si on veut, on peut »). La compétition de triathlon évoquée dans le roman, le Mettleman, une parodie du fameux Iron Man, est à la fois terrifiante et hilarante.
… et du politiquement correct
Pour finir, le roman évoque les excès du discours politiquement correct aux États-Unis, principalement par rapport aux personnes de couleur. Si le thème est amené de manière judicieuse à travers le licenciement de Remington, son traitement est moins convaincant. L’une des scènes mémorables du roman donne lieu à un débat sur la discrimination raciale au sein d’une sorte de tribunal des prud’hommes. Un peu trop théâtrale voire outrancière, elle laisse un sentiment mitigé même si certains dialogues frôlant l’absurde sont franchement désopilants. Sur ce plan, Lionel Shriver ne déçoit pas.