Texte et mise en scène par Olivier Py avec Dali Benssalah, Nâzim Boudjenah, Joseph Fourez et Guilhem Fabre au piano au Théâtre National du 16 au 19 janviers 2019. Crédit photo ChristopheRaynaud de Lage
« L’histoire prime toujours sur l’idée »
C’est au Théâtre National qu’Olivier Py nous présente trois tragédies modernes portées par quatre personnages. Face à nous, un triptyque se construit autour de trois muses : la peinture d’une révolte de rue, la musique avec le pianiste Guilhem Fabre et pour finir, le théâtre sur de simples tréteaux. Un décor épuré pour retourner à la source et servir au plus juste l’acteur et son texte. Ces trois courtes pièces de moins d’une heure questionnent de grands enjeux sociétaux sur le monde financier, carcéral et politique. Comment « vivre dignement » dans des milieux aseptisés par la violence et le mensonge ? Elles interrogent sans détours la morale et l’éthique lorsque l’humanité est dictée par les chiffres ou la survie. Sommes-nous coupables ou bien soumis ? Quel regard portons-nous, quel rôle jouons-nous alors ?
Si le premier récit aborde un sujet intéressant et peu entendu, celui du milieu impitoyable de la prison, et dénonce purement son non-sens, il est aussi le moins lisible. Avec un rythme soutenu, un verbe endiablé et des genres qui se mélangent, nous sommes vite submergés. L’espace est rempli de mouvements : d’actions rapides mais qui manquent d’urgence, et de mots grandiloquents qui manquent d’impact. La pièce pose de nombreuses questions, mais ne nous laisse pas toujours le temps de les recevoir et de tenter d’y construire une réponse. Les mots s’emmêlent, s’écoutent et se répondent. Il en résulte un effet souvent redondant altérant la spontanéité.
Lors de la deuxième partie, le rythme est plus décortiqué, plus accessible à nos oreilles et nos sensations. Cette fois-ci, c’est le monde de la finance que nos acteurs traduisent dans une gestuelle et des mimiques exacerbés. Au fur et à mesure, le texte devient plus intime et fragile. La poésie est alors plus savoureuse, quoique parfois très sentimentale.
Face à cette hystérie théâtrale, c’est l’humour qui nous rattrape. Les acteurs se jouent du « ridicule » sans aucune gêne, mélangeant l’absurde et le réalisme. Ils peignent une parodie aussi drôle que dramatique de notre époque. Le langage de la finance est utilisé à outrance pour étouffer son auditeur d’un capitalisme sans foi ni loi. Ce sont des mots tranchants qui peignent la cruauté et l’humiliation de notre actualité. Olivier Py nous dessine le portrait d’une société masculine, d’une violence genrée et d’un patriarcat à son apothéose. Un monde construit, orchestré et subi par les hommes.
Au long des trois récits, les acteurs incarnent les mêmes archétypes : le bourreau, la victime, le narrateur. Le dernier floute nos repères et les personnages deviennent figures : âmes errantes, masque noir ou personnage aux multiples rôles. Les comédiens réussissent à incarner avec puissance chaque entité. Ils enfilent des corps caricaturés, grotesques et abimés, dans une énergie bluffante. Grâce à un « théâtre d’intervention », où la scène est dépouillée d’artifices, les acteurs sont tous proches du spectateur et s’adressent directement à lui. Le banquier cherche à nous corrompre, tandis que l’humaniste nous appelle à lutter. Ils ne cessent de nous prendre à parti, nous immergeant complètement dans leur monde.
Si le langage et les genres théâtraux utilisés ne nous semblent pas les plus adéquats pour atteindre émotionnellement l’auditoire, les mots d’Olivier Py ne laissent pas insensibles. Ce sont les mots d’un véritable tribun qui cherche à réveiller les foules et à concerner son public.