auteur : Juan Martini
édition : Asphalte
sortie : octobre 2015
genre : roman noir
Le Rat, un habitant du bidonville chaotique Puerto Apache, travaille pour un chef de la ville. On lui demande de retenir des séries de nombres et de les rapporter à des dealers. La règle d’or est unique : ne rien demander, ne rien comprendre, juste exécuter. Jusqu’au jour où il se trouve, sans savoir pourquoi, attaché à une chaise et battu par des inconnus qui veulent sa peau.
Avec une ligne narrative simple comme point de départ, Puerto Apache répond à tous les critères du roman noir. Le bidonville autogéré au cœur de Buenos Aires constitue un univers violent où drogue et prostitution vont de pair avec la composition mafieuse de la société. Martini pose un regard tragique et pessimiste sur le portrait de cette communauté marginale argentine touchée par la crise.
« Nous sommes un problème du vingtième siècle », pensent les habitants de Puerto Apache. Le roman s’ancre de manière référentielle dans la situation actuelle de l’Argentine s’engageant du côté des exclus de la société, ces « squatteurs » sans droits qui ne veulent que vivre. Pour être au plus près du milieu social décrit et surtout de son personnage principal Le Rat, Martini utilise l’argot, ou un langage assez familier propre à cette petite communauté.
Son approche comportementaliste dans l’écriture, aussi critère du roman noir, confère à son personnage le pouvoir d’observation continu, voire celui de la fixation sur des détails qui ont l’air insignifiants, mais qui dressent un portrait sociétal intéressant. Cette évocation behaviouriste remet les personnages en une relation causale avec l’environnement qui les entoure, rappelant que l’homme n’est que résultante des interactions de l’individu avec son milieu. Les personnages du roman sont complexes dans leur simplicité et Martini ne pose aucun jugement sur leur existence.
L’image de la femme fatale est aussi présente avec une Marù on ne peut plus typique du genre : mystérieuse, irrésistible et surtout insaisissable. De l’autre côté se tiennent les autres femmes de cette jungle, victimes de leur situation, incapables de toute action. Puerto Apache reste aussi un roman policier qui lie le social à la criminalité : une intrigue sert de fil rouge au roman. Le Rat, comme le spectateur, cherche tout au long du roman à comprendre pourquoi il a été pris en otage au début de la narration, situation à partir de laquelle le récit se ramifie dans tous les sens, à l’image mentale de son protagoniste. Le spectateur part à l’enquête pour résoudre cette énigme.
Ce qui est plus intéressant encore dans Puerto Apache est l’agencement de l’écriture du récit que met en place Martini. Partant toujours d’une situation présente, le Rat ramène le spectateur dans ses images mentales, souvenirs et pensées, souvent provoqués par des mots ou des objets du réel. Cette écriture libre au rythme de la conscience ne s’étale pas seulement sur une frise chronologique étendue, mais embrasse aussi le fougueux de l’esprit du Rat. Le narrateur peut diviser alors une même scène en différentes parties qu’il aborde dans différents chapitres du livre, selon le pouvoir de l’évocation de son entourage immédiat. Il peut même raconter une même histoire ou information à plusieurs reprises, sans en être conscient. Comme si la transparence avec laquelle il aborde ce récit le pousse à parler sans penser à ce qu’il raconte ou à quel moment il le fait.
Le noir argentin de Martini s’ancre dans une société contemporaine différente à laquelle s’adaptent le récit et le genre. Par le pouvoir d’évocation de son narrateur et personnage principal, Puerto Apache sert de mise à mal sociétale, psychologique, politique et surtout humaine.