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    Préface BIFFF 2023 avec Jonathan Lenaerts – « Le film de genre a sauvé l’industrie du cinéma »

    C’est à Laeken dans un bâtiment encombré et à l’air banal que nous nous rendons en ce beau jeudi ensoleil…ok brum…bon d’accord pluvi… Oui ça va ça va, il faisait dégueulasse ! Vous êtes contents ? Mais ne nous y trompons pas, sous son air ordinaire, cette bâtisse abrite un véritable asile psychiatrique où se côtoient les esprits malades de sociopathes en puissance : j’ai nommé l’équipe du BIFFF. Le nombre impressionnant de culs de clopes devant l’entrée témoigne des heures de travail de l’équipe et l’atmosphère enfiévrée de leur antre laisse augurer du meilleur pour la grande messe du cinéma fantastique en Belgique. Après avoir visité l’enfilade de pièces bigarrés se succédant telles des poupées russes (ou des plaintes pour viol chez Roman Polanski) pour abriter l’équipe impressionnante de Peymey Diffusion (un nom qui conviendrait parfaitement à un restaurant de Dim Sum), nous nous posons sur une table avec Jonathan Lenaerts, membre du nouveau comité exécutif du festival avec Dianne, Youssef et Chris. Six mois après la fin de l’édition précédente, la première post-covimachin, il était temps de se poser pour faire le point sur le premier BIFFF au Palais 10 et lever un coin du voile sur la suivante. Plongée accompagnée dans la préparation du meilleur festival du monde.

    Coucou Jonathan, je suppose que vous avez tiré le bilan de l’édition précédente du BIFFF ? La première post-Covid et la première dans le nouveau lieu au Palais 10. Quel sentiment général tires-tu de cette édition spéciale ?

    Jonathan Lenaerts. C’était surtout du soulagement. On sortait d’une période difficile avec le Tu-Sais-Quoi et là notre défi était le changement de lieu, l’anniversaire des 40 ans qui était très symbolique et surtout des dates qui ne correspondaient pas du tout au festival. On avait travaillé sur un scénario du pire car on savait que le lieu faisait peur aux gens. Ils avaient l’impression de partir au cercle polaire alors que c’est juste le Heysel. De plus, à la rentrée scolaire, c’est toujours compliqué de prévoir des activités le soir. C’est clair, nous avons eu une petite baisse de la fréquentation pour cette édition avec un peu moins de 50.000 personnes. Mais nous nous y attendions. Le gros test, ce sera cette année puisque cette fois, nous revenons dans les dates habituelles du festival. Nous ne sommes pas dans les vacances de Pâques donc ce ne sera pas la même chose mais nous allons nous adapter et nous avons d’ailleurs déjà prévu des choses pour pallier à cela. La spécificité du BIFFF par rapport à d’autres festivals fait qu’on s’en sort bien. Nous avons cette ambiance particulière et unique et nous restons un espace de liberté unique et assez phénoménal.

    Quels sont les premiers retours par rapport au changement de lieu ?

    J.L. On a eu de tout. La plupart du temps, les remarques qu’on a eues, ce sont des gens qui viennent nous dire « C’est ailleurs, mais c’est le BIFFF ». Une fois que tu pénètres dans l’enceinte du festival, tu retrouves l’univers du BIFFF avec ses couleurs, ses thématiques, etc. Tu es chez toi. C’est notre avantage, nous avons l’impression que nous pouvons déménager partout mais arriver à créer un univers familier. Bien sûr, nous avons eu des remarques sur le fait que c’est loin, le parking est compliqué, les ours polaires sont en train de mourir, etc. Mais nous devons faire avec les contraintes qui sont les nôtres. Il faut rappeler qu’avant de nous positionner sur le Palais 10, nous avons fait tout ce qui était possible en termes de salles sur Bruxelles. Aucune n’était suffisamment grande pour accueillir le festival. Nous sommes au Palais 10, nous avons de l’espace, effectivement c’est plus loin mais nous restons à 5km du centre-ville donc c’est gérable. Même si certains Anversois arrivent même plus vite au festival que moi qui vient de Watermael-Boitsfort.

    Et la question que tous les festivaliers se posent : est-ce que vous allez garder l’espace de foodtrucks dehors ?

    J.L. Oui mais pas là (sourire). Cela fait partie du plan que nous avons mis en place avec le déménagement à Brussels Expo. Forcément, nous ne sommes pas centrés, ce n’est pas Bozar en plein centre. L’idée, c’est de se dire que le BIFFF est une sorte d’île déserte. Quand tu y arrives, tu y restes. Et pour y rester, tu dois avoir à disposition des foodtrucks, des endroits où faire un peu de shopping, des magasins, boire un verre, t’amuser et donc passer un bon moment sur cette petite île déserte.

    Et pour toi, quels sont les principaux points positifs et négatifs de cette édition ?

    J.L. En positif, je pense que la taille du lieu nous permet beaucoup plus de choses. On pourrait très bien partir sur une Escape Room qu’on pourrait monter et mettre où on veut. En termes d’expositions aussi, contrairement à Bozar, elles sont visibles ici. Et puis, nous avons deux salles qui sont très bien équipées. Bon, c’est vrai, il y a eu quelques réglages techniques à faire au début du festival (sourire). Mais cela fait partie des essais et des erreurs propres à chaque changement. Le désavantage, c’est qu’on est sur un espace tellement grand que c’est un gros challenge pour nous. On doit se faire 20km par jour chacun dans l’équipe au sein du site. Et puis, nous devons absolument avoir du public car un espace pareil peut faire très vide. Et c’est pour cela que nous travaillons sur l’affiche et sur la volonté de la rendre la plus éclectique possible. Nous refusons qu’on entende un écho dans le BIFFF.  Il y a aussi eu un problème au niveau du fléchage. D’un autre côté, nous avions aussi essayé un nouveau système de ticketing qui n’était absolument pas optimal, c’est quelque chose que nous allons améliorer. Il y a certainement d’autres points à améliorer mais en 5 mois de temps, nous n’avions pas suffisamment de recul pour cela pour la préparation du suivant.

    L’édition de cette année constitue un passage de témoin entre l’ancienne génération et la nouvelle. Je suppose que cela a été un challenge supplémentaire pour l’équipe.

    J.L. Le passage de flambeau avait déjà commencé à l’édition précédente parce que Guy avait déjà décidé de prendre une pension bien méritée au mois de mai. Forcément, nous étions déjà bien préparés. Maintenant, il est définitivement parti et on peut enfin s’amuser comme on veut (rires) ! Plus sérieusement, quoiqu’on en pense, on reste exactement dans la même philosophie. Nous ne voulons pas changer l’esprit du festival. C’est évident que nous allons essayer de nouvelles choses comme nous l’avons fait avec les documentaires notamment. On est toujours motivés par des aspects neufs que nous pouvons apporter. Mais au festival, ce ne sont pas les idées qui manquent. Ce qui manque, ce sont les ressources. Et en période de crise, ce n’est pas facile. Mais l’avantage c’est que si un jour, nous avons une embellie ou que nous gagnons à l’Euromillions, on a un réservoir à idées qui est inépuisable. En ce qui concerne les conneries que nous sommes prêts à faire, nous avons du stock.

    À quoi pouvons-nous nous attendre pour la programmation ?

    J.L. Nous allons la resserrer cette année parce que nous ne serons plus en période de vacances. Nous ne voulons pas sacrifier certains films à 14h alors qu’ils pourraient faire une belle séance de 18h et d’un autre côté, un gros point noir c’est que les séances de minuit marchent beaucoup moins bien au Heysel qu’au centre-ville. Parce qu’il y a moins de transports en commun, mobilité douce que peu pratiquent et puis il y a une réputation d’un quartier dangereux qui est complètement à côté de la plaque.

    Vous avez déjà dévoilé certains éléments de la nouvelle édition mais que peux-tu déjà nous dire de celle-ci sans rien spoiler et sans gâcher la surprise ?

    J.L. Nous avons prévu une thématique « Sales gosses ». Nous aimons bien lire Baudelaire à nos heures perdues dans l’équipe du BIFFF, même si nous n’en avons pas l’air. Et nous sommes tombés sur une phrase géniale de ce cher Charles dans Pauvre Belgique qui traitait les enfants belges de crétins débiles, etc. Donc nous voulions lui rendre la pareille avec une thématique « Sales gosses ». On s’est rendu compte que dans les films d’horreur, il y a énormément d’enfants qui sont parfois victimes et parfois tortionnaires. Donc nous avons cette année une sélection costaude de films de ce genre donc nous allons nous faire plaisir à ce niveau. Je peux citer notamment The Wrath of Becky que nous avions déjà annoncé mais il y aura aussi Kids vs Aliens qui sera dans le lot et Evil Dead Rise qui sera présenté, et ça c’est beau, 30 ans après le sacre de Army of Darkness au BIFFF en 93.

    Le BIFFF, c’est toujours un bon moyen pour se rendre compte des tendances dans le cinéma de genre. De ton côté, quels sont les tendances que tu as pu déceler dans la sélection du festival ?

    J.L. C’est marrant parce qu’il y a moins de tendances qui se démarquent par rapport à avant. Avant, tu avais toute une série de films qui traitaient de la crise écologique, du climat et de tout cela. Mais avec la pandémie, ça a changé. J’ai plutôt l’impression qu’il y a une envie assez dingue de juste se faire plaisir, d’aller au bout de son délire et de ne plus chercher de prétextes ou de chercher une patine pour ne pas assumer son côté horrifique. Donc tu as vraiment des films qui sont basiques mais complètement jouissifs où tu vois que les réalisateurs ont eu juste envie de se faire plaisir. Et d’un autre côté, ce qui est assez amusant, c’est qu’on a aussi remarqué qu’au niveau de Sundance, de Venise et de Cannes que le film de genre est entré dans la cour des grands. Il est devenu enfin accepté, socialement accepté, créativement et éthiquement accepté. C’est quand-même le film de genre qui a sauvé l’industrie du cinéma donc il était plus que temps qu’on le reconnaisse comme tel.

    Il y a quelques années, vous aviez fait un focus sur les films russes. Est-ce que cette année, vu le contexte géopolitique général, vous vous êtes posé la question de l’origine des films dans le choix de la programmation ?

    J.L. Non, rarement. On peut se poser la question c’est sûr mais elle sera purement cosmétique dans le sens où on s’est toujours considéré comme apolitiques et notamment avec le film de Kirill Sokolov qu’on avait présenté l’an dernier, des gens nous avaient fait la remarque qu’on osait programmer un film russe. Mais nous, en tant qu’ASBL culturelle, nous ne sommes en guerre avec personne. De plus, un pays ne représente pas l’entièreté de ses habitants et les artistes russes, comme les artistes iraniens, sont souvent pris en otage par leur propre gouvernement. Donc nous n’allons pas leur infliger une double peine, alors qu’ils ne peuvent déjà pas s’exprimer chez eux, en plus de ne pas leur permettre de s’exprimer à l’étranger et de porter les chaines de leur pays autour du cou. À chaque fois, on dissocie l’artiste de son appartenance culturelle, ethnique, etc. Et ça peut nous jouer des tours car à une époque, nous avions présenté le film JeruZalem des frères Paz, nous avions été taxés de sionistes. Et quelques années plus tard, une personne avait décidé d’appliquer sa propre grille de lecture sur l’affiche du festival et nous a taxés d’antisémites. C’est ce que tu récoltes en étant complètement je-m’en-foutiste sur le plan idéologique. Pour nous, ce sont les films et leur qualité qui comptent et peu importe le reste.

    Et pour terminer, un petit quizz ! Alors Jonathan, plutôt films de zombies, de vampires ou de loups-garous ?

    J.L. Loups-garous, à mort ! Tout ce qui a des poils et qui court dans la forêt, je kiffe à mort. Et puis il n’y a rien à faire, je reste sur Dog Soldiers qui reste un de me films fétiches.

    Plutôt Passage 44, Tour&Taxi, Bozar ou Palais 10 ?

    J.L. (Il hésite). Si je dois écouter mon cœur, j’ai envie de dire le Passage 44 vu que c’est là que j’ai commencé comme spectateur d’abord puis comme bénévole en même temps que Stéphane et Youssef.

    Plutôt Bush ou Cuvée des Trolls ?

    J.L. Et si je te disais Het Nest ? (musique mystérieuse extradiégétique)

    Plutôt séance de 14h ou séance de 00h30 ?

    J.L. Ça dépend de ce que je dois faire le lendemain.

    Et finalement, l’édition 2023 du BIFFF sera réussie si…

    J.L. …personne ne va bouffer un pangolin d’ici là.

    Olivier Eggermont
    Olivier Eggermont
    Journaliste du Suricate Magazine

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