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    Poumons : les générations du désastre 

    Au Théâtre de Poche, Poumons de l’auteur britannique Duncan MacMillian explore les questionnements d’un couple sur la décision d’avoir un enfant dans un contexte écologique et politique préoccupant. Faut-il faire preuve d’inconscience pour se reproduire ? À partir de quand peut-on affirmer que l’homo sapiens gangrène le monde ?

    Dans la file d’un magasin Ikea, une jeune femme pose la question qui fait tout basculer : « Dis chéri, et si on avait un bébé ? ». Au-delà de la considération psychologique inhérente à ce pas supplémentaire dans une relation, il y a surtout des considérations plus sociétales et écologiques. Un être sur terre en plus, c’est un consommateur en devenir, un pollueur certifié. L’impact carbone d’un enfant est phénoménal : dix mille tonnes de CO2, soit environ sept ans d’allers-retours quotidiens entre Bruxelles et New York. Il faut aussi surtout s’en sentir capable, le faire à deux, se promettre des choses que l’on n’avait encore jamais dites. Avoir un enfant, c’est vraiment 30 tonnes de TNT dans la tête.

    Mouvement et immobilisme

    « Avant de prendre une grande décision, respire. Questionne-toi. Fais le tour de la question. Explore mais surtout ne te mens pas » : ces mots, ils ne les prononcent pas, mais ils imprègnent chacun de leurs gestes, chacun de leurs silences. La mise en scène d’Anne-Pascale Clairembourg prend le parti de l’exploration du corps face à tous ces non-dits, ces actes manqués. Tantôt de face, tantôt opposés, au sol ou faisant du sur place, Félix Vannoorenberghe et Élisa Firouzfar se mesurent et se jaugent. Cette dispersion dans l’espace est renforcée par la nature volontairement superficielle de la scénographie. Les comédiens évoluent sur un plateau recouvert d’une nature faite de plastique avec pour fenêtre sur le monde un écran qui les ramène sans cesse à ce petit être qui va naitre. Les corps sont en mouvement, mais la pensée, elle, semble coincée dans une boucle infinie. Le texte s’enchaîne comme une éternelle conversation dont on ne sait comment sortir.

    Côté scène et côté cœur

    L’ancrage philosophique assumé de l’auteur et les choix de mise en scène nous ont mis dans une certaine difficulté. La nature de l’œuvre est un éternel débat, une mise en abyme d’une responsabilité sociétale qui pèse aujourd’hui sur les épaules d’une nouvelle génération, héritière des désastres commis par les générations précédentes. En soi, nous pourrions appeler cela une écriture rationnelle et motivationnelle. À cela s’ajoute une scénographie, elle-même conceptuelle et abstraite, ainsi qu’une ponctuelle danse chorégraphiée des corps. Cette addition de volontés artistiques a complexifié notre perception des rapports à l’autre et nous a fait perdre de vue l’aspect émotionnel du propos. Ces deux êtres sont avant tout des personnes qui s’aiment, non pas dans l’absolu, mais dans leurs faiblesses, leurs vulnérabilités et leurs contradictions. Nous aurions souhaité plonger dans cette émotion et ressentir le quotidien, l’asphyxie des contraintes. Nous aurions aimé davantage de chaos et un peu moins d’ordre, car après tout, comme le pensait très justement Pascal, le cœur a souvent ses raisons que la raison ignore.

    Toutefois, nous soulignons la pertinence des pensées exprimées sur scène et l’investissement des comédiens qui nous ont permis d’entendre le dilemme et le paradoxe de nos existences. Une manière somme toute poétique de parler de la difficulté d’être et de faire famille dans un présent troublé. Un pont entre un terrain de jeu et un terrain d’écoute qui a le mérite d’encourager le dialogue. 

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