Mise en scène de Delphine Bibet, avec Delphine Bibet, Thierry Hellin, Catherine Mestoussis, Alexandre Trocki. Du 26 mars au 05 avril 2019 au Théâtre National. Crédit photo : Marie-Françoise Plissart
La comédienne Delphine Bibet a mis en scène son premier spectacle Playback qui s’est joué au Théâtre national du 26 mars au 5 avril. Ce spectacle mêle une playlist de grandes chansons d’amour du 20ème siècle à des extraits des « fragments du discours amoureux » de Roland Barthes. La mise en scène est innovante et s’appuie sur un beau travail de lumière, toutefois l’absence d’histoire peut désarçonner plus d’un spectateur.
Dans un décor de cabaret entre pénombre et boules à facettes, Delphine Bibet met en scène (et joue elle-même) une série d’amoureux chantants. Tous ces personnages de vies ordinaires, plus ou moins assurés, sont amenés à murmurer et à utiliser le playback pour parler d’amour, de leurs expériences et de leurs rapports à l’amour. A travers ces messieurs et mesdames tout le monde pris dans différents scénarios amoureux, les étapes de l’amour sont passées en revue de l’excitation de la rencontre, au conflit, à la séparation, en passant par la fusion des cœurs.
Ce spectacle a germé dans l’esprit de Delphine Bibet suite à un atelier dirigé par Joël Pommerat, lors duquel elle a travaillé le playback et en a ressenti un ”vertige d’être dépossédée de sa propre voix, (…) de s’approprier une autre voix, un autre souffle, l’histoire d’une autre personne au travers d’une chanson d’amour ». C’est ce qui lui a donné l’envie de rendre visible au spectateur cette étrangeté que cela procure. Sur scène, le rendu est déroutant, avec une impression d’amputation des acteurs, privés de leur voix. Le procédé est encore plus étrange quand le genre du comédien et du chanteur différent. Le jeu du playback, sur fond de belle qualité acoustique, semble mieux réussir aux comédiens avec une très forte présence scénique, en particulier Thierry Hellin et Delphine Bibet.
Ce spectacle est comme un OVNI, un objet visuel non identifié, on en ressort avec une certaine chaleur dans le cœur, d’avoir touché du doigt la finesse du sentiment amoureux tout en se remémorant ces chansons qui nous ont bercé à l’un ou l’autre moment de notre propre histoire. En effet, comment ne pas ressentir d’émotions à l’écoute de J’ai rencontré l’homme de ma vie de Diane Dufresne, Laisse-moi t’aimer de Mike Brant ou Si tu m’aimes encore de Nino Ferrer. Playback nous invite ainsi à revisiter le patrimoine musical de la chanson d’amour à la française et à penser à notre propre bande-son et petite musique intérieure.
Toutefois, la liaison avec Fragments du discours amoureux de Roland Barthes, passe mal car on reste avec l’impression de passer du coq à l’âne. A travers ce texte utilisé en monologue ou scénette, Delphine Bibet avait l’intention de « scruter, fouiller notre cœur au plus profond en toute confiance et connivence ». Dans sa démarche sur les fragments, Barthes quant à lui, souhaitait faire entendre la voix de l’amoureux. Il a cherché à universaliser le langage amoureux : «Mon langage tremble de désir, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, je me dépense à faire durer ce moment pour qu’il ne s’arrête jamais ». L’amour reste en tout état de cause une source d’inspiration inépuisable et un fort moteur pour la création.