D’après le Mahabharata et la pièce de Jean-Claude Carrière, mise en scène : Peter Brook, Marie-Hélène Estienne avec Carole Karemera, Jared McNeill, Ery Nzaramba, Sean O’Callaghan, musicien Toshi Tsuchitori
Du 24 octobre au 30 octobre 2016 à 20h30 à l’Atelier Théâtre Jean Vilar
Se rendre à un spectacle de Peter Brook est rarement le fruit du hasard. Ce dernier ne propose pas de spectacles légers ou comiques, de vaudevilles modernes ou de divertissements faisant la part belle aux nouvelles technologies, à la scénographie grandiloquente ou aux décors accrocheurs. Fort de la réputation du bonhomme, on choisit avant tout d’aller voir Brook plus que d’aller voir un spectacle.
Peter Brook, c’est un gars qui a fait jouer des acteurs tels que Orson Welles, en 1953, dans une adaptation télévisée du Roi Lear, ou encore, dans le registre français, Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo, en 1959, dans Moderato Cantabile, film tiré d’un roman de Marguerite Duras.
En théâtre, Brook est le théoricien de l’espace vide dont il tire un essai sur la mise en scène en 1977. Il s’agit aujourd’hui d’un ouvrage de référence majeur dans l’histoire du théâtre moderne. Il est également connu pour être le papa qui a sauvé in extremis le superbe théâtre des Bouffes du Nord à Paris.
Vous l’aurez compris, Brook est un artiste complet à la carrière internationale et dont le travail est admiré, tant dans le domaine du théâtre que dans celui de l’opéra, du cinéma ou encore de l’écriture.
Avec Battlefield, on peut imaginer que Peter Brook est désireux de boucler la boucle en revenant sur une histoire qui a contribué à l’un de ses plus grand succès théâtraux: celle de l’épopée mythologique du Mahabharata, considérée comme l’un des plus grands poèmes jamais écrits et comme l’un des livres fondateurs de l’hindouisme. Rien que ça !
Trente ans plus tôt, Brook en avait en effet présenté une interprétation au festival d’Avignon. Il avait alors créé un spectacle qui avait duré 9 heures! Un travail intense qui avait marqué sa carrière, grâce notamment au fait de nombreux voyages entrepris avec sa troupe de recherches théâtrales en Inde et à travers le reste du monde, à la rencontre de nouvelles cultures. Peter Brook plonge une seconde fois dans le Mahabharata en 1989 pour en proposer une adaptation filmique.
Dans la version courte présentée quelques jours à l’Atelier Jean Vilar de Louvain-la-Neuve et deux ans dans de nombreux pays à travers le monde, Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, sa collaboratrice depuis de nombreuses années, présentent l’histoire de Yudhishtira, vainqueur d’une bataille sanguinaire l’ayant opposé à son défunt frère Duryodhana. Yudhishtira ne sait pas comment reconstruire le royaume sur les cendres de la guerre qui vient de s’achever. Son cheminement vers la paix et l’acceptation tisse la trame du spectacle, ponctué de plusieurs scénettes emplies de sagesse et pour lesquelles les quatre acteurs se partagent des rôles aussi farfelus qu’un ver de terre, un pigeon ou même la mort.
A travers ce cours extrait du Mahabharata, Brook et sa comparse nous invitent à réfléchir sur une question toujours désespérément d’actualité: celle de la guerre et de la destruction qui « n’arrive jamais les armes à la main. Elle arrive sournoisement, sur la pointe des pieds, nous faisant voir le mal dans le bien et le bien dans le mal. » (Extrait du spectacle)
Pour Battlefield, Peter Brook opte pour une esthétique proche de celle appliquée dans sa célèbre interprétation d’Hamlet, connue entre autre par le fait d’avoir fait jouer ce dernier par un acteur noir. Une esthétique sobre et minimaliste composée d’étoffes aux couleurs franches mais jamais criardes et de lumière en justes touches. L’adaptation, habilement poussée par un djembé, mise tout sur le jeu des acteurs et réduit le décor et les accessoires à leur plus simple expression. Ici encore, une simple écharpe suffit à évoquer le serpent.
Attention toutefois, si vous êtes maintenant convaincu qu’il faut aller voir ce spectacle, sachez que le style de Peter Brook ne fait pas l’unanimité et qu’il est surtout apprécié par un public initié. Il se pourrait bien que vous aimiez la représentation, mais il se pourrait aussi que vous la détestiez. Fort du caractère tranché et très personnel de quelqu’un qui a développé son art à l’échelle de sa vie, apprécier ou non ce spectacle est avant tout une affaire de goût. Néanmoins, si vous êtes curieux de ne pas rater ce qui pourrait être l’une des dernières représentations de Peter Brook, l’homme est en effet âgé de 91 ans, il est vivement conseillé de ne pas raté Battlefield.