De Valérian Guillaume, mis en scène par Olivier Martin-Salvan, avec Romane Buunk, Tristan Cantin, Manon Carpentier, Victoria Chéné, Fabien Coquil, Guillaume Drouadaine, Maëlia Gentil, Lise Hamayon, Mathilde Hennegrave, Rémy Laquittant, Emilio Le Tareau, Olivier Martin-Salvan, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic. Du 10 janvier au 14 janvier 2024 au Théâtre National.
Au centre de la scène, trône un château-fort, couleur ivoire, qui semble tout droit sorti d’une boîte de Playmobil. Sa taille dépasse largement celle d’un jouet sans toutefois être suffisante pour accueillir, confortablement, des personnes adultes. Côté jardin (à gauche), un arbre décharné, sans feuille, inerte, stylisé.
Tambour et vielle résonnent dans une ritournelle moyenâgeuse tandis qu’un homme, vêtu d’une combinaison blanche moulante, s’extirpe de dessous de l’arbre. « Je suis l’enfant blanc, dit-il, auteur endormi de toutes ces fantasmagories ». Il est le créateur de ces personnages issus du Moyen-Âge de sa conscience et qui ne prennent vie que lorsqu’il dort.
Mais toute cette communauté de créatures rêvées habite un royaume déserté par la Nuit qui jugeait ne pas être estimée, vénérée, à sa juste valeur. Par un enchantement, elle s’est retirée de la course emportant leur sommeil. La population se retrouve figée depuis sept années dans cette journée sinistrée où la nature ne donne plus que boursettes d’artichauts. Chacun œuvre pour animer les rêves de l’enfant blanc de farces, de jeux, de spectacles, de processions et de prières.
Le « narrant de ce beau conte » juché sur une échelle plante le décor : le roi Tristan parti pour retrouver la Nuit et réveiller le rêveur, n’est jamais revenu. L’oracle annonce pourtant que le roi reviendra au domaine pour mourir. Et, tandis que le château s’ouvre en deux parties symétriques, le monarque revient sous les vivats des créatures. Le roi bredouille est usé, au bout de lui. Guidé dans la blancheur par les rires de ses compagnons, il vient mourir auprès d’eux en sa demeure.
Dans une scénographie et des costumes imaginés par Yvan Clédat & Coco Petitpierre (et réalisés par les ateliers du Théâtre National), les farces se succèdent dans un récit carnavalesque. La femme du boulanger a vu le diable entrer ci-bas. Elle lève sa jupe qui se transforme en une énorme bouche pleine de dents qui engloutit tout qui tente de venir à sa rescousse tandis que son époux, désespéré, pétrit sa pâte « dans l’ombre de ses larmes ». Un vilain implore Saint Martin des Champs qui lui apparaît (une comédienne juchée sur les épaules d’un comédien) et lui accorde quatre souhaits qu’il doit âprement négocier avec sa femme.
Matière foisonnante
Quinze comédiens, dont sept en situation de handicap forment Catalyse, une troupe professionnelle au sein du Centre National pour la Création Adaptée (CNCA, Morlaix, France), incarnent des scènes de vie quotidienne, mais aussi de foire, ou encore d’événements relevant du Mystère. Le metteur en scène, Olivier Martin-Salvan, a conçu Péplum Médiéval comme une œuvre fédératrice qui vise à déplacer le regard des spectateurs sur les question de mixité sociale, de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et de l’inclusion en général.
Joignant le geste à la parole, des hommes portent le rôle de femmes, et vice versa, alors que la démarche inclusive se traduit par l’absence de différence de jeu perceptible entre les acteurs de Catalyse et les autres. Le metteur en scène qui a auditionné beaucoup d’artistes professionnels déplore « que la plupart se réfugiaient dans la fiction, se cachaient derrière le personnage. Tandis que les acteur·et actrices de la troupe Catalyse sont incapables de ‘tricher’. Pas parce qu’ils sont naïfs ! Parce qu’ils ont un rapport au monde, et à l’art, sans filtre. Ils sont conscients absolument de tout. Ils ont quelque chose de plus transparent et émouvant. Là est la différence essentielle. »
Comme sortie de l’œuvre de Rabelais, les peintures de Bosch ou celles de Bruegel, toute cette foule haute en couleur porte des juste au corps identiques, pour mettre en valeur la diversité des corps, parfois rehaussés de différents ajouts : coiffes, capes, jupes et autres accessoires. Les couleurs et motifs chatoyants évoquent les blasons et armoiries de l’époque comme pour tordre le cou à une représentation trop communément admise d’un Moyen Âge sombre.
Olivier Martin-Salvan considère, en effet, que, entre Antiquité et Renaissance, « le Moyen Âge apparaît souvent comme un monde marronnasse, malodorant et cruel où les hommes et les femmes ressemblent plus à des bêtes qu’à des êtres humains ». Alors que selon des historiens et médiévistes, « il s’agirait plutôt d’un un monde subtil, poétique, rempli d’humour et plein d’une puissance créatrice puisant sa source dans le Merveilleux ».
Ce Péplum Médiéval fait également la part belle au langage, « tout langage est un jeu » dit un moment l’enfant blanc. S’inspirant de la liberté et de la créativité des trouvères et troubadours de cette époque, l’auteur du texte, Valérian Guillaume, visait « à créer un monde nouveau, forgé par l’émergence d’une langue originale. Cette langue est un assemblage de mots des XIIe et XIIIe siècles fusionnés avec ceux qu’il a inventés. »
En dépit de quelques « jactures » difficilement compréhensibles et d’une certaine longueur sur la fin, le Péplum Médiéval livre un spectacle séduisant dont le sens est porté par le rêve jusqu’à l’éveil au monde.