« Pendant ce temps sur Terre », allo frérot, bobo

Pendant ce temps sur Terre
de Jérémy Clapin
Drame
Avec Megan Northam, Sofia Lesaffre, Catherine Salée
Sortie en salles le 3 juillet 2024

Après J’ai perdu mon corps, Jérémy Clapin s’attelle à son premier long-métrage en prises de vues réelles, Pendant ce temps sur Terre. On y suit le personnage d’Elsa, jeune aide-soignante incapable de faire le deuil de son frère ainé spationaute, tragiquement disparu dans l’espace. Un beau jour, elle est contactée par une intelligence extra-terrestre qui lui propose un marché : lui fournir quatre humains à habiter en échange de son frère.

Décidément, le fantastique est à la mode dans l’hexagone. Dans la lignée des récents succès du Règne animal de Thomas Cailley, ou encore de Vincent doit mourir de Stephan Castang, Jérémy Clapin s’aventure lui aussi dans des contrées longtemps laissées en friche par le cinéma français. A l’instar de ses prédécesseurs, tout l’enjeu pour le cinéaste réside dans sa capacité à s’affranchir ou non de l’écrasante influence de l’imaginaire hollywoodien qui domine le genre.

A première vue, la piste de la suggestion, encouragée par un budget modeste empêchant toute figuration frontale de l’espace infini, semblait une voie fertile. Dans le premier tiers du film, on ne peut nier un certain charme dans la manière d’investir le décor périurbain d’un mysticisme latent. Malheureusement, lorsqu’il s’engage plus nettement dans sa veine SF, la faiblesse d’écriture révèle la vacuité des personnages et plombe douloureusement le métrage, l’empêchant de se hisser au niveau de ses modèles – Rencontres du troisième type et 2001, l’Odyssée de l’espace en tête.

De ce frère en perdition, tout ce qu’on entendra est une voix, maladroitement incarnée par Yoan Germain Le mat, qui doit composer avec un texte affligeant. Même sentence pour le timbre froid et clinique de cette forme de vie alien, qui lorgne clairement vers celui d’HAL 9000, mémorable antagoniste du classique de Stanley Kubrick : servi par des dialogues trop plats pour provoquer l’effroi, il en devient risible (« nous ne sommes rien, jusqu’à ce que l’on devienne quelque chose »…). Les personnages présents à l’image subissent un sort identique et peinent à dépasser le statut de l’intention.

C’est d’autant plus regrettable que Jérémie Clapin n’est pas avare d’idées : en mélangeant prises de vues réelles et animation, le film aurait pu rendre visible cette hybridité entre l’humain et le non humain désirée par cette entité étrangère. Las, cette alternance de technique ne sert qu’à illustrer une binarité convenue entre la réalité et l’imaginaire qui traduit un profond manque d’inspiration. Le cinéaste a beau adopter la panoplie complète du film d’auteur arty – lens flares, plans retournés, faible profondeur de champ et musique lancinante – on ne peut s’empêcher d’y voir une manière artificielle de plaquer une esthétique « noble » sur un scénario de série B mal ficelé.

Reste la question morale passionnante que pose le film : peut-on sacrifier quatre inconnu.e.s en échange de la vie d’une personne aimée ? Face au dilemme, Elsa fait le choix osé de sacrifier les vieux et les sans-abris, puisque ceux-là ne manqueront à personne. Ce basculement du personnage dans une zone trouble aurait pu mener le film vers un horizon d’impertinence qui lui fait cruellement défaut. Mais cette dimension subversive est vite désinvestie par le cinéaste : visiblement mal à l’aise, il s’empresse de renfermer dans sa boite le pantin malséant qu’il a lui-même libéré, pour lui préférer le choix d’une conclusion convenue et rassurante.